Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1386]
559
LIVRE III.

duc, et il appartenoit qu’il fût ainsi, que quand le duc partiroit de la ville de Saint-Jacques, la duchesse et sa fille Catherine en partiroient aussi et iroient au Port voir le roi de Portingal et la jeune roine. Si forent autant bien les besognes de la duchesse ordonnées comme celles du duc et de leur jeune fille aussi ; et fut la ville de Saint-Jacques à un chevalier d’Angleterre baillée à garder et pour en être capitaine, lequel on appeloit messire Louis de Cliffort ; et avoit dessous lui trente lances et cent archers.

CHAPITRE LVII.

Comment le duc de Lancastre et ses gens chevauchoient vers la cité de Betances et comment cens de Betances composèrent à eux, et comment la duchesse et sa fille allèrent voir le roi et la roine de Portingal.


Or se départit le duc de Lancastre à toutes ses gens ; rien ne demeura en la garnison fors ceux qui ordonnés étoient à demourer. Et chevauchèrent le duc et la duchesse devers la cité de Betances ; c’est à l’un des coins de Galice la derraine bonne ville au-lez devers le royaume de Portingal et au droit chemin du Port et de Conimbre, Et pour ce que madame de Lancastre et sa fille devoient aller voir le roi et la roine, tinrent-elles le chemin. Ceux de Betances entendirent que le duc venoit sur eux à tout son pouvoir ; si se trairent à conseil pour savoir quelle chose ils pourroient faire. En leur conseil eut plusieurs paroles retournées. Finalement ils ordonnèrent, et pour le mieux, que ils envoieroient devers le duc et la duchesse qui venoient, six de leurs hommes des plus notables de la ville de Betances, en souffrance de non être assaillie huit jours tant seulement ; et là en dedans ils envoieroient devers le roi de Castille ; et lui remontreroient que si il ne venoit si fort que pour combattre le duc, ils se rendroient au duc quittement et franchement sans nul moyen.

Lors montèrent sus chevaux six hommes qui élus y furent de la ville de Betances, et chevauchèrent le droit chemin que les Anglois venoient. Si encontrèrent premièrement l’avant-garde que le maréchal menoit. Si furent pris et arrêtés des premiers chevaucheurs ; ils dirent que ils étoient de Betances, et que sus bon appointement chargés de la ville ils alloient parler au duc. Adonc, dit le maréchal à messire Jean Soustrée qui chevauchoit de-lez lui : « Menez ces hommes devers monseigneur ; ils ont bon mestier d’être conduits, car nos archers les pourroient occire. » Le chevalier répondit : « Volontiers. » — « Allez, allez, dit le maréchal, ce chevalier vous mènera au duc. » Lors se départirent-ils et chevauchèrent tous ensemble, et trouvèrent le duc et la duchesse et leur fille et messire Jean de Hollande et messire Thomas de Percy et plusieurs autres qui étoient descendus dessous moult beaux oliviers ; et regardèrent fort tous ensemble sus Soustrée, quand ils le virent venir. Si lui demanda messire Jean de Hollande en disant : « Beau-frère Soustrée, ces prisonniers sont-ils à toi ? » — « Sire, répondit Soustrée, ils ne sont pas prisonniers. Ce sont hommes de Betances que le maréchal m’a baillés en conduit pour venir parler à monseigneur ; car selon ce que il m’est advis ils veulent traiter. » Le duc de Lancastre oyoit toutes ces paroles, aussi faisoit la duchesse ; car il et elle étoient présens. Adonc, leur dit Soustrée : « Avancez-vous, bonnes gens, car véez-là votre seigneur et votre dame. » Lors s’avancèrent ces six hommes et se mirent à genoux ; et parla l’un ainsi et dit : « Mon très cher et redouté seigneur et ma très chère et redoutée dame, la communauté de la ville de Betances nous envoie ici. Ils ont entendu que vous venez sus eux, ou que vous envoyez à main armée pour avoir la seigneurie, si vous prient, de grâce espéciale, que vous vous veuillez souffrir et cesser neuf jours tant seulement de non faire assaillir, et ils envoieront devers le roi de Castille qui se tient à Val-d’Olif, et lui montreront le danger où ils sont ; et si dedans les neuf jours ils ne sont secourus de gens forts assez pour vous combattre, ils se mettront du tout en votre obéissance. Et le terme que vous logerez près d’ici, si vivres et pourvéances vous besognent, pour vos deniers, cher sire et vous très chère dame, ceux de la ville de Betances vous en offrent à prendre à votre volonté pour vous et pour vos gens. »

À ces paroles ne répondit point le duc, mais laissa parler la duchesse qui très bien avoit entendu leur langage, car elle étoit du pays, et regarda vers le duc, et dit : « Monseigneur, qu’en dites-vous ? » — « Et vous, dame, qu’en dites-vous aussi ? Vous êtes héritière. L’héritage me vient de vous ; si en devez répondre. » — « Monseigneur, c’est bon qu’ils soient reçus