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[1378–1379]
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LIVRE II.

cheval des éperons et se relança ens ès barrières ; et là descendit et se mit en bon convenant pour lui défendre si il besognoit. Quand les gens du seigneur de Langurant furent venus à lui, il le trouvèrent navré à mort ; si furent tous courroucés, et l’ordonnèrent et appareillèrent au mieux qu’ils purent et le rapportèrent arrière en son châtel : mais il mourut à lendemain. Ainsi advint en ce temps en Gascogne du seigneur de Langurant.

En ce temps advint un fait d’armes en Rochelois ; car Héliot de Plaisac, un moult aduré[1] écuyer et vaillant homme aux armes étoit capitaine de Bouteville, un fort anglois, et tenoit là en garnison environ six vingt lances de compagnons anglois et gascons, qui moult contraignoient le pays, et couroient presque tous les jours devant la Rochelle et devant Saint-Jean d’Angely ; et tenoient ces deux villes en tel doute que nul n’osoit issir, fors en larcin, dont les chevaliers et les écuyers du pays étoient moult courroucés ; et s’avisèrent un jour que ils y pourverroient de remède à leur loyal pouvoir, ou ils seroient de leurs ennemis morts ou pris sur les champs. Si se cueillirent et assemblèrent à la Rochelle environ deux cents lances, car c’étoit la ville où Héliot et les siens couroient le plus souvent devant ; et là étoient de Poitou et de Xaintonge le sire de Tors, le sire de Puisances, messire Jacque de Surgières, messire Parcevaulx de Coulogne, messire Regnault de Touars, messire Hue de Vivonne et plusieurs autres, en grand’volonté de rencontrer leurs ennemis. Et sçurent ces capitaines par leurs espies que Héliot de Plaisac chevaucheroit et viendroit devant la Rochelle accueillir la proie : si s’ordonnèrent selon ce au plus tôt qu’ils porent, le soir, tous bien armés et montés à cheval, et se mirent aux champs. À leur département ils ordonnèrent que à lendemain bien matin on mît le bétail hors aux champs à l’aventure. Ainsi fut fait que ordonné fut. Quand ce vint au matin, Héliot de Plaisac et sa route s’en vinrent courir devant la Rochelle et férir jusques aux barrières. Entrementes ceux qui commis étoient à cueillir la proie l’assemblèrent toute et la firent mener des hommes du pays devant eux. Ils ne l’eurent mie menée une lieue quand véez-ci les François, qui étoient plus de deux cents lances, qui leur vinrent sur aile ; et ne s’en donnoient garde les Anglois, et se boutèrent de plain élai atout leurs roides lances sur leurs ennemis. De première venue il y en ot plusieurs rués par terre. Là dit Héliot de Plaisac : « À pied, à pied tout homme, et nul ne s’en fuie, et laisse chacun aller son cheval ; si la journée est nôtre, nous aurons chevaux assez ; et si elle est contre nous, nous nous passerons bien de chevaux. » Là se mirent Anglois et Gascons et ceux du côté Héliot tous à pied et en bon convenant. Aussi firent les François, car ils doutèrent de leurs chevaux perdre du fer des glaives. Là ot dure rencontre et forte bataille, et qui longuement dura, car ils étoient tous main à main ; et poussoient de leurs glaives si roidement là où ils se atteignoient que ils se mettoient jusques à la grosse alaine[2]. Là ot fait plusieurs grands appertises d’armes, mainte prise et mainte rescousse ; finablement les François obtinrent la place, et furent leurs ennemis déconfits et tous morts et pris ; et petit s’en sauvèrent ; et toute leur proie rescousse, et Héliot de Plaisac pris et amené en la Rochelle. Tantôt après cette avenue les seigneurs dessus nommés s’en allèrent devant le châtel de Bouteville, qui fut pris ; et léger étoit à prendre, car on n’y trouva nulli. Ainsi fut Bouteville François, dont tout le pays d’environ ot grand’joie ; et demeura Héliot de Plaisac en prison un long temps.


CHAPITRE XLIV.


Du retour de messire Thomas Trivet en Angleterre.


En ce temps[3] retournèrent en Angleterre messire Thomas Trivet et messire Guillaume Helmen et aucuns chevaliers et leurs routes, qui avoient été en Espaigne et aidé à faire la guerre au roi de Navarre. Si se trairent tantôt devers le roi d’Angleterre qui pour ce temps étoit à Cartasée, et ses deux oncles le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge de-lez lui. Si furent les deux chevaliers liement recueillis du roi et des seigneurs, et furent enquis et examinés à dire nouvelles. Ils en dirent assez, toutes celles qu’ils savoient, et comment l’affaire s’étoit portée en

  1. Endurci à la fatigue.
  2. Jusqu’à s’épuiser à force de fatigue.
  3. Tout ce récit appartient à l’année 1379, pendant laquelle Henri II roi de Casiille, mourut, et son fils Jean fut couronné.