Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
564
[1386]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

hâta encore un petit plus de issir hors de sa chambre et de venir en ses galeries. Messire Gautier, sitôt comme il le vit issir hors de sa chambre, s’en vint contre lui et l’inclina et le salua. Le comte, qui savoit autant des honneurs comme chevalier pouvoit savoir, lui rendit tantôt son salut, et le prit par la main et dit : « Messire Gautier, vous soyez le bien venu. Quelle besogne vous amène maintenant au pays de Berne ? » — « Monseigneur, dit le chevalier, on nous a donné à entendre, à messire Guillaume de Lignac et à moi, qui sommes commis et établis de par le roi de France à mener outre et conduire en Castille ces gens d’armes dont vous avez bien ouï parler, que vous voulez empêcher notre chemin, et clorre votre pays de Berne à l’encontre de nous et de nos compagnons. »

À ces paroles répondit le comte de Foix et dit : « Messire Gautier, sauve soit votre grâce ! car je ne vueil clorre ni garder mon pays à l’encontre de vous ni de nul homme qui paisiblement et en paix le veuille passer, et, ce que il y trouvera, prendre et payer au gré de mon peuple, lequel j’ai juré à garder et tenir en droit et en justice, ainsi que tous seigneurs terriens doivent tenir leur peuple, car pour ce ont-ils et tiennent les seigneuries. Mais il me fut dit que il vient aval une manière de gens, Bretons, Barrois, Lorrains, Bourguignons, qui ne savent que c’est de payer ; et contre telles gens je me vueil clorre, car je ne veuil pas que mon pays soit foulé, ni gâté, ni grevé ; mais le vueil tenir en droit et en franchise. » — « Monseigneur, répondit messire Gautier, c’est l’intention de mon compagnon et de moi que, si nul passe parmi votre terre, si il ne paye ce que il prendra paisiblement au gré des povres gens, que il soit pris et arrêté et corrigé selon l’usage de votre pays, et tantôt restitué tout le dommage que il aura fait, ou, nous pour lui en satisferons, mais que le corps nous soit délivré ; et si il n’est gentilhomme, devant vos gens nous en ferons justice et punition de corps cruelle, tant que les autres y prendront exemple ; et si il est gentilhomme, nous lui ferons rendre et restituer tous dommages, ou nous pour lui. Et ce ban et ce cri ferons-nous faire à la trompette par tous leurs logis. Et de rechef, afin que ils s’en avisent, on leur rementevra quand ils entreront en votre terre, par quoi ils ne se puissent pas excuser que ils n’en soient sages. Or me dites si il suffit assez ainsi. »

Donc répondit le comte et dit : « Ouil, messire Gautier ; or suis-je content, si ainsi est fait. Or vous soyez le bien venu en ce pays. Je vous y vois volontiers. Or allons dîner, il est heure ; et puis aurons autres parlemens ensemble. » Le comte de Foix prit messire Gautier de Passac par la main et le mena en la salle ; et quand il eut lavé, il le fit laver et séoir à sa table ; et après le dîner ils retournèrent ens ès galeries, qui sont moult belles et moult claires, et là eurent grand parlement et long ensemble. Et encore dit le comte de Foix à messire Gautier : « Ne vous émerveillez pas si je me tiens garni de gens d’armes, car oncques je ne suis sans guerre, ni jà ne serai tant que je vive. Et quand le prince de Galles alla en Castille, il passa lui et tous ses gens au dehors de cette ville : oncques homme ne vit plus belle compagnie de gens d’armes et plus belle gent, car il mena en Espaigne, là où vous tendez à aller, quinze mille lances ; et étoient bien soixante dix mille chevaux ; et les tenoit tous en Bordelois, et en Poitou et en Gascogne sur le sien, de l’entrée de mai jusques en la moyenne de janvier. Et quand le passage approcha, il envoya devers moi en celle ville deux des plus grands de son hôtel, messire Jean Chandos et messire Thomas de Felleton, qui me prièrent moult doucement, au nom de lui, que je voulsisse ouvrir ma terre à l’encontre de ses gens ; et cils me jurèrent, présens les barons de Berne, que tout ce que ses gens y prendroient ni leveroient, ils le payeroient ; et si nul s’en plaindoit de mauvais payement, ces deux seigneurs que je dis me jurèrent d’en faire leur dette. Et au payer vraiment ils me tinrent bien convenant ; car tous ceux qui y passèrent, fût par cette ville ou au dehors, payèrent tout courtoisement et sans ressuite. Et disoient encore les Anglois l’un à l’autre : « Gardez-vous que vous ne fourfaites rien en la terre du comte de Foix, car il n’y a voix sur gosier en Berne qu’il n’ait un bassinet en la tête. » Adonc commença messire Gautier à rire et dit : « Monseigneur, je le crois bien que il fut ainsi. À ce pourpos est l’intention de mon compagnon et de moi que nos gens seront tous signifiés et avisés de celle affaire, et s’il en y a nul ou aucuns qui voist hors