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LIVRE III.

lances ; à Bellepuich, à l’entrée de la comté de Foix, messire Pierre Cabestan ; à Saint-Thibaut, sus la Garonne, messire Pierre Mennaulx de Novailles, à cinquante lances ; à Palamininch, messire Pierre de la Roche ; au chastel de Lamesen, le bâtard d’Espaigne ; à Morlans, messire Arnault Guillaume, atout cent lances ; à Pau, messire Guy de la Mote ; au Mont-de-Marsan, messire Raymond de Chastel-Neuf ; à Sauveterre, messire Yvain de Foix, fils bâtard du comte ; à Montesquieu, messire Berdruc de Nebosem ; à Aire, messire Jean de Sainte-Marcille ; à Oron, messire Hector de la Garde ; à Montgerbiel, Jean de Chastel-Neuf ; à Erciel, Jean de Morlans. Et manda à messire Raymond l’ains-né, lequel avoit le chastel de Mauvoisin en garde, que il fût soigneux de toute la frontière. Et envoya à Saint-Gausens un sien cousin, Ernauton d’Espaigne. Brièvement, il ne demeura cité, ville ni chastel en Foix ni en Berne qui ne fût rafreschi et pourvu de gens d’armes. Et se trouvoit bien garni de deux mille lances et de vingt mille hommes d’armes tous d’élite. Il disoit que c’étoit assez pour attendre le double d’autres gens d’armes.

Les nouvelles vinrent à messire Guillaume de Lignac, qui se tenoit à Toulouse, et à messire Gautier de Passac, qui séjournoit à Carcassonne, comment le comte de Foix se pourvéoit de gens d’armes et mettoit en garnisons par toutes ses villes et forteresses. Et couroit renommée que il ne lairoit passer nulluy parmi sa terre. Si en furent ces deux chevaliers, pourtant que ils étoient capitaines de tous les autres, tous esbahis. Et si mirent journée de parler ensemble ; et chevauchèrent chacun pour trouver l’un l’autre ainsi que au moitié du chemin. Et vinrent au Chastel-Neuf-d’Aury, et parlèrent là ensemble du comte de Foix comment ils s’en cheviroient ; et dit messire Guillaume à messire Gautier : « Au voir dire, c’est merveille que le roi de France et son conseil n’en ont escript à lui pour ouvrir sa terre paisiblement. » — « Messire Gautier, dit messire Guillaume, il vous faudra aller parler à lui doucement, et dire que nous sommes ci envoyés de par le roi de France pour passer, nous et nos gens, paisiblement, et payer ce que nous prendrons. Sachez que le comte de Foix est bien si grand que, si il ne veut, nous n’aurons point de passage parmi sa terre, et nous faudra passer parmi Arragon qui nous est trop long, et nous tourneroit à trop grand contraire. Au voir dire, je ne sais de qui il se doute, ni pourquoi il garnit maintenant ses forts, ses villes ni ses chastels, ni si il a nulles alliances au duc de Lancastre. Je vous prie, allez jusques là en savoir la vérité. Toujours passeront nos gens jusques à Tarbes et jusques en Bigorre. » — « Je le vueil, » dit messire Gautier. Lors prirent ces deux capitaines congé l’un de l’autre, quand ils eurent dîné ensemble. Messire Guillaume de Lignac retourna à Toulouse et messire Gautier s’en vint, atout quarante chevaux tant seulement, passer la Garonne à Saint-Thibaut ; et trouva là messire Menault de Novailles qui lui fit grand’chère et qui se tenoit en garnison : messire Gautier lui demanda du comte où il le trouveroit. Il lui dit que il étoit à Ortais.

Ces deux chevaliers furent une espace ensemble et parlèrent de plusieurs choses ; et puis partit messire Gautier et vint à Saint-Gausens, et là gésit ; et par tout lui faisoit-on bonne chère. À lendemain il vint à Saint-Jean de Rivière, et chevaucha toute la lande-de-Bourg, et costia Mauvoisin, et vint gésir à Tournay, une ville fermée du royaume de France, et à lendemain il vint dîner à Tarbes et là se tint tout le jour ; et trouva le seigneur-d’Anchin et messire Mennault de Barbasan, deux grands barons de Bigorre, lesquels parlèrent à lui, et lui à eux, de plusieurs choses ; et pourtant que le sire de Barbasan étoit Armignacois[1], il ne pouvoit nul bien dire du comte de Foix.

À lendemain, messire Gautier de Passac se départit de Tarbes et s’en vint dîner à Morlans en Berne ; et là trouva messire Arnault Guillaume, le frère bâtard du comte, qui le reçut liement et lui dit : « Messire Gautier, vous trouverez monseigneur de Foix à Ortais ; et sachez que il sera tout réjoui de votre venue. » — « Dieu y ait part, dit messire Gautier ; pour parler à lui le viens-je voir. » Ils dînèrent ensemble, et après dîner messire Gautier vint gésir à Montgerbiel, et lendemain à tierce il vint à Ortais, et ne put parler au comte jusques à une heure après nonne que le comte de Foix, si comme il avoit usage, issit hors de sa chambre.

Quand le comte de Foix sçut que messire Gautier de Passac étoit venu pour parler à lui, si se

  1. Du parti des Armagnacs.