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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/572

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

capitaines des routes que on se mit au chemin ; mais ce que on prendroit ni leveroit en la terre du comte de Foix fût tout payé, autrement on s’en prendroit aux capitaines qui amenderoient le forfait ; et fût sonné à la trompette de logis en logis, afin que tous en fussent avisés.

Or se délogèrent toutes gens de la marche de Toulouse et de Carcassonne, de Limousin et de Narbonne, et se mirent à chemin pour entrer en Bigorre, et étoient plus de deux mille lances. Si se partit messire Guillaume de Lignac de Toulouse, et prit le chemin de Bigorre ; et exploita tant que il vint à Tarbes, et là trouva messire Gautier son compagnon. Si se entrefirent bonne chère, ce fut raison. Et toujours passoient gens d’armes et routes ; et s’assembloient tous en Bigorre pour chevaucher ensemble parmi Berne et le pays du comte de Foix, et pour passer à Ortais, au pont, la rivière du Gave qui court à Bayonne.

Sitôt que on ist du pays de Berne, on entre au pays de Bascles, auquel pays le roi d’Angleterre tient grand’terre en l’archevêché de Bordeaux et en l’évêché de Bayonne. Si que les Basclois, qui se tiennent et tenoient lors du roi d’Angleterre, où bien sont quatre vingt villes à clochers, entendirent que les passages seroient parmi leur pays. Si se doutèrent grandement des François et de être tous courus, ars et exillés, car ils n’avoient sur tout le pays nulles gens d’armes de leur côté qui pouvoient défendre, les frontières. Si se conseillèrent ensemble les plus sages et ceux qui le plus avoient à perdre, que ils envoieroient traiter devers les souverains capitaines et rachèteroient leurs pays : encore leur étoit-il plus profitable que ils fussent rançonnés à quelconque chose que leur pays fût ars et exillé. Si envoyèrent à Ortais quatre hommes, lesquels étoient chargés du demourant du pays pour faire le apaisement.

Ces quatre hommes de Bascles contèrent à Ernauton du Puy, un écuyer du comte de Foix et gracieux et sage homme, ce pour quoi ils étoient là venus, et que quand messire Guillaume et messire Gautier viendroient là, et ils y devoient être dedans deux jours, que il voulsist être avecques eux pour aider à traiter. Il dit que il y seroit volontiers.

Advint que les capitaines vinrent à Ortais, et se logèrent à la Lune, chez Ernauton du Puy. Si leur aida à faire à ceux de Bascles leurs traités ; et payèrent tout comptant deux mille francs, et leur pays fut déporté de non être pillé ni couru. Encore leur fit le comte de Foix bonne chère ; et donna aux capitaines à dîner, et à messire Guillaume de Lignac un très beau coursier. Et furent ce jour à Ortais ; et lendemain ils passèrent à Sauveterre et entrèrent au pays des Bascles, lesquels s’étoient rachetés, si comme vous savez. On prit des vivres là où on les put trouver, et tout ce fut abandonné ; et passèrent les François parmi, sans faire autre dommage, et s’en vinrent à Saint-Jean du Pied des Ports à l’entrée de Navarre.

CHAPITRE LIX.

Comment messire Thomas de Hollande et messire Jean de Roye firent un champ de bataille à Betances devant le duc de Lancastre.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment la ville de Betances se mit en composition devers le duc de Lancastre et comment elle se rendit à lui, car le roi de Castille ne la secoury ni conforta en rien ; et comment la duchesse de Lancastre et sa fille vinrent en la cité du Port en Portugal voir le roi et la roine ; et aussi comment le roi et les seigneurs les reçurent liement et grandement ; ce fut raison.

Or advint, endementres que le duc de Lancastre séjournoit en la ville de Betances, que nouvelles s’avalèrent là du Val-d’Olif ; et les apporta un héraut de France, lequel demanda, quand il fut venu à Betances, l’hôtel à messire Jean de Hollande. On lui enseigna.

Quand il fut là venu, il trouva messire Jean. Si s’agenouilla devant lui, et lui bailla unes lettres, et lui dit en les baillant : « Sire, je sais un héraut d’armes que messire Regnault de Roie envoye ci par devers vous, et vous salue. Si vous plaise à lire ou faire lire ces lettres. » Messire Jean répondit et dit : « Volontiers ; et tu sois le bien venu. » Adonc ouvrit-il les lettres et les lisit ; et contenoient que messire Regnault lui prioit, au nom d’amour et de sa dame, que il le voulsist délivrer de trois coups de lances acérées à cheval, de trois coups d’épées, de trois coups de dague et de trois coups de haches ; et si il lui plaisoit à aller au Val-d’Olif, il lui avoit pourvu un sauf conduit de soixante chevaux ; et si il avoit plus cher à Betances, il lui prioit que,