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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Nouvelles vinrent au roi de Castille que grand secours lui venoit de France, plus de deux mille lances. Si en fut tout réjoui, et se partit du Val-d’Olif, et s’en vint à Burges ; et chevauchoit à plus de six mille chevaux. Or vinrent ces gens d’armes à Burges et là environ, et se logèrent et s’épardirent sus le pays, et toujours venoient gens. Messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac s’en vinrent devers le roi à son palais, lequel les reçut liement et doucement, et les complaignit de la peine et du travail si grand que ils avoient pris pour l’amour de lui et pour lui venir servir. Ces chevaliers, en inclinant le roi de Castille, répondirent et dirent : « Sire, mais que nous puissions faire service qui vous vaille, notre peine et travail seront bientôt oubliés ; mais il nous faudra avoir conseil et avis l’un pour l’autre comment nous nous chevirons, ou si nous chevaucherons sus les ennemis, ou si nous les lairerons, et guerroierons par garnisons tant que monseigneur de Bourbon soit venu. Si mandez messire Olivier du Glayaquin ; nous savons bien que il est en ce pays ; et messire Pierre de Villaines, le Barrois des Barres, Chastel Morant et tous les compagnons de de-là qui ont hanté plus en celle contrée que nous n’ayons, car ils y sont venus devant nous. Si nous conseillerons et parlerons ensemble ; et ferons tant, si Dieu plaît, parmi le bon avis de l’un et de l’autre, que vous et votre royaume y aurez profit et honneur. » Dit le roi : « Vous parlez loyaument et sagement, et je le vueil. »

Adonc furent mis clercs en œuvre et lettres escriptes à pouvoir, et messages envoyés en plusieurs lieux où les chevaliers se tenoient épandus sus les pays lesquels on vouloit avoir. Quand ils sçurent que messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac étoient à Burges de-lez le roi, si en furent tous réjouis ; et considérèrent bien le temps, et que on les mandoit pour avoir conseil et avis comment on se maintiendroit. Si se départirent des villes et des chastels, car ils se tenoient en garnisons. Quand ils les eurent recommandés à leurs gens, ils prinstrent de toutes parts le chemin de Burges en Espaigne, et tant firent que ils vinrent. Et eut là à Burges et là environ grand’chevalerie de France.

Or entrèrent le roi de Castille et ses compagnons, barons et chevaliers de France, en parlement pour avoir certain arrêt et avis comment ils se maintiendroient, car bien savoient que leurs ennemis chevauchoient et tenoient les champs. Si y vouloient pourvoir et remédier selon leur puissance à l’honneur du roi et de eux, et au profit du royaume de Castille. Là furent plusieurs paroles retournées, et furent nombrés les gens d’armes que le roi de Castille pouvoit avoir. On disoit bien que de son royaume on mettroit bien ensemble trente mille chevaux et les hommes sus armés à l’usage de Castille, lançans et jetans dards et archegayes, et de pied bien trente mille ou plus jetans de pierres à frondes. Les chevaliers de France considérèrent bien tout cela entre eux, et dirent bien que ce étoit grand peuple, mais que il vaulsist rien. Mais on y avoit vu et trouvé tant de lasqueté que on avoit petite fiance en eux ; tant que à la bataille de Nazre, où le prince de Galles fut et eut la victoire, comme à la bataille de Juberote, où les Portingallois et les Gascons firent, et toujours avoient été les Espaignols déconfits.

Donc fut reprise la parole et rehaulsée du comte de la Lune, en soutenant les Castellains et eux excusant, et dit ainsi ; « Tant que à la bataille de Nazre, je vous en répondrai. Il est bien vrai que messire Bertran du Glayaquin et grand’foison de noble chevalerie et bonne du royaume de France furent là et se combattirent vaillamment, car tous y furent morts ou pris ; mais vous savez bien, ou avez ouï dire, que toute la fleur de chevalerie du monde étoit là avecques le prince de Galles, de sens, de vaillance et de prouesse, laquelle chose n’est pas à présent avecques le duc de Lancastre. Le prince de Galles, à la bataille de Nazre, avoit bien largement dix mille lances et six mille archers, et telles gens que il y en avoit trois mille dont chacun valoit un Roland et un Olivier. Mais le duc de Lancastre à présent n’a non plus de douze cens ou de quinze cens lances et quatre mille archers ; et nous aurons bien six mille lances, et si n’avons pas à faire ni à combattre contre Roland ni Olivier. Messire Jean Chandos, messire Thomas de Felleton, messire Olivier de Cliçon, messire Hue de Cavrelée, messire Richard de Pont-Chardon, messire Garsis du Chastel, le sire de Ray, le sire de Rieux, messire Louis de Harecourt, messire Guichart d’Angle, et tels cinq cens chevaliers vous nommerois-je