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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/586

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et nullement il ne l’eût souffert ni son pays aussi, il manda en Angleterre au roi et à son conseil confort et aide de gens d’armes et d’archers ; et leur signifia et certifia ainsi, là où le roi d’Angleterre ou l’un de ses oncles viendroient ou voudroient venir en Bretagne atout puissance de gens d’armes et d’archers, il trouveroit le pays tout ouvert et appareillé pour eux recevoir et recueillir.

Le roi d’Angleterre et son conseil furent tout réjouis de ces nouvelles, et leur semblèrent bonnes ; et ne pouvoient mieux exploiter que de là envoyer, puisque Bretagne leur seroit ouverte et appareillée, ni leur guerre ne pouvoit être plus belle. Si envoyèrent le comte de Bouquinghen atout quatre mille hommes d’armes et huit mille archers, lesquels arrivèrent à Calais et passèrent tout parmi le royaume de France, et ne trouvèrent à qui parler, si comme il est contenu ci-dessus. Si ne demandoient-ils que la bataille ; et vinrent en Bretagne, et cuidoient trouver le pays tout ouvert et appareillé pour eux recevoir et pour passer l’hiver, et là dedans eux aiser et rafreschir, car au voir dire, ils avoient fait un lointain voyage : mais ils trouvèrent tout le contraire ; car le duc de Bretagne fut si mené de ses gens et si sagement traité que on l’apaisa au jeune roi Charles de France ; car au roi Charles, son père, ne l’eût-on point apaisé, car trop le hayoit[1].

Et le duc de Bourgogne, qui pour ce temps avoit une partie du gouvernement du royaume de France, lui aida grandement à faire sa paix, car il en étoit traité et prié de madame sa femme, madame de Bourgogne, qui y mit grand’peine, pour la cause de ce que le duc de Bretagne lui étoit de lignage si prochain. Et convint que il deffaulsist aux Anglois de tous ses convenans, car il ne leur en put tenir nul ni accomplir, ni ne feroit jamais que Bretons quittement ni liement se rendissent au roi d’Angleterre pour guerroyer le royaume de France : oncques n’eurent celle opinion, ni jamais n’auront. Et convint les Anglois, l’hiver que ils y logèrent en la marche de Vennes, recevoir et prendre tant de povretés que oncques tant n’en eurent pour une saison ; et par espécial leurs chevaux moururent tant de faim comme de povreté. Et se départirent de Bretagne, sur le temps d’été, si mal contens du duc que plus ne pouvoient ; et espécialement le comte de Bouquinghen et les barons d’Angleterre qui en sa compagnie étoient ; et eux retournés en Angleterre, ils en firent grands plaintes au roi, au duc de Lancastre et à son conseil ; et fut devisé et ordonné que on délivreroit Jean de Bretagne qui lors étoit prisonnier en Angleterre, et le amèneroient Anglois, à puissance de gens d’armes, en Bretagne pour guerroyer le duc de Bretagne ; et disoient Anglois : « Messire Jean de Montfort sait bien que nous l’avons mis en la possession de la seigneurie de la duché de Bretagne ; car sans nous, il n’y fût jamais venu ; et nous a joué de ce tour que travailler nos corps et lever nos gens et faire dépendre l’argent du roi. C’est bon, dirent-ils, que nous lui montrons que il a mal fait. Au fort nous ne nous en pouvons mieux venger que de délivrer son adversaire, et lui mener en Bretagne ; car tout le pays lui ouvrira villes, cités et chastels, et boutera l’autre hors qui nous a ainsi trompés. » Tous furent d’un général accord ; et Jean de Bretagne fut amené en la présence du roi et des seigneurs ; et lui fut dit que on le feroit duc de Bretagne, et lui seroit recouvré tout l’héritage de Bretagne ; et auroit à femme madame Philippe de Lancastre, fille au duc de Lancastre, mais que la duchesse de Bretagne il voulsist tenir en foi et hommage et relever du roi d’Angleterre, laquelle chose il ne voult faire. La dame fille du duc l’eût-il bien prise par mariage ; mais que il eût juré contre la couronne de France, il ne l’eût jamais fait, pour demeurer autant en prison que il y avoit été ou toute sa vie. Quand on vit ce, si se refroida-t-on de lui faire grâce, et fut renvoyé en la garde de messire Jean d’Aubrecicourt, si comme il est contenu en celle histoire ici dessus.

Or devez-vous savoir que je ai fait de toutes les choses dessus dites énarration pour les incidences qui s’en poursuivent, et que on a vu apparoir par le duc de Bretagne ens ou pays de Bretagne. Car le duc savoit bien, et s’en apercevoit bien clairement, que il étoit grandement hors de la grâce des nobles d’Angleterre et de la communauté ; et venoient selon l’imagination les meschefs et les haines, pour le voyage que le comte de Bouquinham et les Anglois avoient fait en France, dont ils étoient descendus en

  1. Tous ces événemens ont été racontés avec de grands détails dans le IIe livre de Froissart.