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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Bertran du Glay-Aquin. » — « C’est vérité, sire, dis-je ; si vous en sais grand gré et jamais ne l’oublierai. » Atant vînmes-nous à la ville de Prilly.

CHAPITRE LXXI.

Comment les ambassadeurs du roi de France vinrent devers le duc de Bretagne pour la prise du connétable, et de la réponse que il leur fit après ce que ils eurent fait leur relation.


Si j’eusse été à loisir autant avecques messire Guillaume d’Ancenis que je fus avecques messire Espaing du Lyon, quand je chevauchai de la cité de Pamiers jusques à Ortais en Béarn, ou que je fus avecques messire Jean Ferrant Percek, le chevalier de Portingal, il m’eût dit et conté plusieurs choses ; mais nennil, je n’y fus point longuement, car tantôt après dîner, que nous eûmes chevauché ensemble deux lieues, nous vînmes sus un chemin croisé, là où il y avoit deux voies dont l’une alloit à Tour en Touraine, où je tendois à aller, et l’autre à Mailly, où il vouloit aller : à ce chemin se défit notre compagnie. Il me donna congé et je le pris, mais entre Prilly et notre département ii m’avoit dit plusieurs choses et par espécial de celles de Bretagne et comment l’évêque de Langres, qui y fut envoyé au lieu de l’évêque de Beauvais qui mort étoit et messire Jean de Vienne et messire Jean de Beuil exploitèrent devers le duc, et la réponse que il leur fit, quand il les eut ouïs parler ; sur laquelle information du chevalier je me suis fondé et arrêté et ai escript ce qui s’ensuit.

Vous devez savoir que les dessus nommés se départirent de Paris et du conseil du roi bien avisés comment ni quelle chose ils devoient dire et faire ; et cheminèrent tant par leurs journées que ils vinrent à Nantes et demandèrent où le duc se tenoit. On leur dit : en la marche de Vennes, et que là par usage se tenoit-il plus volontiers que ailleurs. Donc se mirent-ils au chemin tant que ils y vinrent, car il n’y a de Nantes que vingt lieues ; et descendirent en la cité, car le duc étoit ens ou chastel que on dit à la Motte. Ils s’ordonnèrent et appareillèrent ainsi comme à eux appartenoit, et vinrent devers le duc, lequel par semblant les recueillit assez doucement. L’évêque de Langres, pourtant que il étoit prélat, commença à parler et faire son procès, bellement et sagement accosté de ses deux compagnons, messire Jean de Vienne et messire Jean de Beuil, et dit :

« Sire duc, nous sommes ci envoyés de par le roi notre sire et nos seigneurs ses oncles, monseigneur de Berry et monseigneur de Bourgogne, pour vous dire et montrer que il leur tourne à grand’merveille pourquoi le voyage de mer qui se devoit faire en Angleterre vous l’avez rompu par la prise et arrêt de celui qui en étoit chef et qui en avoit la souveraine charge, monseigneur le connétable ; et avec tout ce vous l’avez rançonné de mise si avant que il s’en deult grandement : et outre, vous voulûtes avoir trois des chastels à messire Olivier de Cliçon, connétable de France, qui sont en Bretagne, et qui pourroient grandement nuire le demeurant du pays, si ils leur étoient contraires, avecques l’aide de la ville de Jugon, laquelle est de l’héritage du connétable et que vous avez voulu avoir. Si sommes chargés de vous dire, et le vous disons, je pour mes seigneurs et compagnons qui ci sont de par le roi notre seigneur et nos seigneurs messeigneurs ses oncles, que vous rendiez arrière à messire Olivier de Cliçon, connétable de France, son héritage que vous tenez, et l’en mettez en possession paisible, ainsi comme droit est, et comme il étoit au devant quand ils vous furent baillés et délivrés par contrainte, non par nulle action de droit que vous y eussiez ; et aussi la mise de l’argent tout entière, restituez-la pleinement là où il lui plaira à avoir. Et de ce que vous avez fait, c’est la parole du roi et de son conseil que vous vous venez excuser à Paris, ou là où il plaira au roi et à son conseil. Nous le tenons si doux et si patient, avecques ce que vous êtes de son sang, que il orra volontiers votre excusance, et si elle n’est pas bien raisonnable, si l’amoyenneront et adouciront à leur pouvoir nos dits seigneurs nos seigneurs les ducs de Berry et de Bourgogne, et feront, tant par prière et autrement, que vous demeurerez ami et cousin au roi et à eux, ainsi que par raison vous devez être. »

Donc se tourna l’évêque sur messire Jean de Vienne et lui demanda : « Est-ce votre parole ? » Il répondit et dit : « Sire, ouil. » Et aussi fit messire Jean de Beuil. À ces paroles dire et montrer en la chambre du duc n’y avoit que eux quatre.

Quand le duc de Bretagne eut ouï parler l’é-