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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/611

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LIVRE III.

vêque de Langres, il pensa un petit ; et bien y ot cause que il fût pensif, car les paroles dites et montrées faisoient bien à gloser ; et quand il parla il dit : « Sire, j’ai bien entendu ce que vous avez dit ; et c’est raison que je y entende, car vous êtes ici envoyés de par monseigneur le roi et mes seigneurs ses oncles : si vous dois et vueil au nom de eux faire toute honneur et toute révérence, car je y suis tenu. Et votre parole et requête demande bien à avoir conseil ; et je me conseillerai ou de moi ou des miens, tellement que à la réponse vous vous contenterez de moi, car autrement je ne le voudrois faire ni ne pourrois. » — « Vous dites bien, répondirent les seigneurs, et il nous suffit. » Donc se départirent les seigneurs de lui et retournèrent à leurs hôtels.

Quand ce vint au soir, ils furent priés, de par le duc, de dîner à lendemain avecques lui. Ils l’accordèrent. Quand ce vint à lendemain ils montèrent au chastel et trouvèrent là le duc et ses chevaliers qui les recueillirent grandement et arréemment et bien le sçurent faire.

Assez tôt après ce que ils furent là venus, on lava pour asseoir à table. On assit l’évêque de Langres tout au-dessus pour cause de prélation[1], et en après le duc et puis l’amiral de France, et après messire Jean de Beuil. Le dîner fut grand et bel et bien servi. Le dîner fait ; on entra en la chambre de parlement ; et là commencèrent à jangler de plusieurs choses et à ouïr menestrels. Bien cuidoient ces seigneurs de France avoir réponse ; mais non eurent. On apporta vin et épices, et après ce ils prirent congé du duc et retournèrent à leurs hôtels et s’y tinrent ce soir.

Quand ce vint au matin, il leur fut signifié de par le duc que ils vinssent au chastel parler à lui. Ils y allèrent : ils entrèrent en une chambre où le duc étoit qui les recueillit assez doucement, et puis parla, car à lui appartenoit à parler, et dit : « Beaux seigneurs, je sais bien que vous attendez réponse. Car sus les paroles que vous m’avez dites et montrées, vous êtes chargés de rapporter à monseigneur le roi et à mes seigneurs ses oncles réponse. Je vous dis que je n’ai fait chose de messire Olivier de Cliçon dont je me repente, fors tant qu’il a eu si bon marché que il s’en est parti en vie : et ce que je lui sauvai la vie, ce fut pour l’amour de son office non mie pour sa personne, car il m’a fait tant de contraires et de grands déplaisirs que je le dois bien haïr jusques à la mort. Et sauve soit la grâce de monseigneur et de messeigneurs ses oncles et de leur conseil, que je aie pour la prise de Olivier de Cliçon rompu ni brisé le voyage de mer, de ce me vueil-je bien excuser, que nul mal je n’y ai pensé ni ne pensois au jour que je le pris. Car partout doit-on prendre son ennemi là où on le trouve. Et si il étoit mort, si se voudroit le royaume de France rieuler et ordonner aussi bien ou mieux que par son conseil. Tant que des chastels que je tiens pour la prise de Olivier de Cliçon et que il m’a délivrés, j’en suis en possession, si y demeurerai, si puissance de roi ne m’en ôte. Tant que à la mise de l’argent, je répondrai, j’ai eu tant à faire du temps passé en ce pays ici et ailleurs par les haines qui sont nées de par Olivier de Cliçon, que je l’ai payé et délivré envers ceux à qui je étois tenu et obligé pour cause de dette. »

Telle fut la substance de la réponse que le duc de Bretagne fit aux commissaires du roi et de son conseil. Depuis y eut d’autres paroles retournées pour ramener le duc à raison, mais toutes les réponses de lui tournoient toujours à celle conclusion.

Quand ils virent que ils n’en auroient autre chose, ils prirent congé pour leur département ; il leur donna. Lors se mirent-ils au retour ; et firent tant par leurs journées que ils vinrent à Paris ; et puis allèrent à l’hôtel de Beauté de lez le bois de Vincennes, car le roi s’y tenoit et la roine. Et là vinrent messeigneurs les ducs de Berry et de Bourgogne, qui grand désir avoient de ouïr la réponse du duc de Bretagne.

La réponse avez-vous assez ouïe, je n’ai que faire d’en plus parler ; mais toutes fois ceux qui furent envoyés en Bretagne n’exploitèrent rien. Dont le roi et son conseil s’en contentèrent mal sur le duc de Bretagne ; et dirent bien que ce duc étoit un orgueilleux homme et présumpcieux, et que te chose ne demoureroit pas ainsi, car elle étoit trop préjudiciable pour la couronne de France. Et étoit bien l’intention du roi et de son conseil que il feroit guerre au duc de Bretagne.

Le duc n’en attendoit autre chose, car bien véoit et savoit que il avoit grandement courroucé le roi et son conseil ; mais il haioit tant le connétable, que la grand’haine que il avoit à

  1. Parce qu’il était prélat.