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LIVRE III.

CHAPITRE XCII.

Comment le comte Regnault de Guerles fut marié à la fille Bertaut de Malignes dont il ot une fille, et depuis se remaria en Angleterre, et en ot deux fils et une fille, et comment messire Jean de Blois épousa l’ains-née fille, et comment la duché demeura à la mains-née fille dudit comte Regnault.


Vous avez bien ouï tous les traités, les requêtes et les réponses, qui furent entre ces parties : si ne les pense plus à demener ; car quand ceux qui furent envoyés par le dit comte de Guerles au dit Berthaut de Malines, furent retournés arrière, les besognes s’approchèrent grandement ; car le comte de Guerles ne pouvoit, pour le présent, mieux faire ailleurs, car ce Berthaut de Malines étoit riche sans nombre. On escripsit tout ce qu’il voult deviser ni aviser pour le meilleur et le plus sûr, au lez de lui et de son conseil ; et, quand tout fut escript et grossoyé et conseillé, et que rien n’y eut que dire, le comte de Guerles et ses proismes qui dedans ces lettres étoient escripts et dénommés, scellèrent. Ainsi firent les chevaliers de Guerles, et les bonnes villes. Quand tout ce fut accompli et confirmé, tant que ce Berthaut fut et se tint pour content, le mariage se passa outre[1] : et furent toutes les dettes payées que le dit comte Regnaud avoit faites en son temps, et sa terre quitte et délivrée de tous gages. Ainsi fut le comte de Guerles au dessus de ses besognes : et prit nouvel conseil et nouvel état. Si par devant il l’avoit tenu bon, encore le tenoit-il meilleur après, car il avoit moult bien de quoi. Finance ne lui failloit point de par la partie de Berthaut de Malines. Et se porta le comte, avecques sa femme, moult honorablement et moult en paix, car elle étoit moult belle dame, bonne et sage dévote, et prude femme. Mais ils ne furent que quatre ans ensemble en mariage, que la dame mourut. Si eut une fille, qui demeura d’elle, qui eut à nom Ysabel[2].

Quand le comte de Guerles fut vefve, il étoit encore un jeune homme. On le remaria très hautement. Et lui donna le roi Édouard d’Angleterre, le père au bon roi Édouard qui assiégea Tournay et qui conquit Calais, sa fille, qui avoit à nom Ysabel[3]. De celle le comte de Guerles eut trois enfans, deux fils et une fille, messire Regnaut et messire Édouard, et Jeanne qui depuis fut duchesse de Julliers[4]. Or, tout ainsi que le prud’homme ce Berthaud de Malines avoit imaginé au commencement, du mariage de sa fille au comte de Guerles, en avint ; ni on ne lui tint oncques nulle loyauté. Quand le roi Édouard[5] d’Angleterre, qui oncle étoit des enfans de Guerles, vint premièrement en Allemagne, devers le roi et empereur Louis de Bavière, et cil empereur l’institua à l’empire à être son vicaire par toutes les marches de l’empire[6], si comme il est contenu au commencement du premier livre, adoncques furent faits les comtes de Guerles, ducs de Guerles, les marquis de Juliers, comtes de Juliers, pour augmenter leurs noms, et en descendant de degré en degré.

Or, pour approcher notre matière et pour là vérifier, il avint depuis, étant mort ce Regnaud, premier duc de Guerles, que son fils ains-né, semblablement nommé Regnaud, nepveu du dit roi Édouard d’Angleterre, mourut sans avoir enfans[7] ; et à tous deux succéda messire Édouard de Guerles, qui se maria en Hainaut, et prit la fille ains-née du duc Aubert[8] ; mais la dame étoit pour ce jour si jeune, qu’oncques charnellement messire Édouard n’acosta à li. Et mourut celui Édouard de Guerles qui fut moult vaillant chevalier, car il fut occis en la bataille qu’il eut contre le duc de Brabant le duc Wincelin, devant Julliers[9].

  1. Je ne trouve rien de cette transaction ni dans Meyer ni dans Pontus Heuterus ni dans l’Art de vérifier les dates. Le comte Regnaud de Gueldres, qui fut nommé duc en 1339, avait épousé en 1310, Sophie, fille de Florent, seigneur de Malines ; et en 1332, en secondes noces, Éléonore d’Angleterre. Peut-être cette Sophie est-elle la fille de Bertaut, qui avait reçu ce titre de seigneurie à cette occasion.
  2. Isabelle était la fille de Regnaud et de Sophie comtesse de Malines. Après avoir été fiancée, suivant Ponterus, à un duc d’Autriche, elle mourut abbesse de Grevendal, en 1376.
  3. Léonore, et non Isabelle, que Regnaud épousa en 1332, était en effet fille d’Édouard III.
  4. Guillaume VI, marquis, puis duc de Juliers, épousa Marie, fille de ce même duc de Gueldres, mais de sa première femme Sophie de Malines. L’Art de vérifier les dates donne seulement au duc deux enfans de ce mariage, Regnaud et Édouard.
  5. Édouard III.
  6. En 1338.
  7. Regnaud III mourut en 1371, sans avoir d’enfans de sa femme Marie, fille de Jean duc de Brabant.
  8. Édouard épousa le 16 mai 1371, Catherine, fille d’Albert régent de Hollande.
  9. Édouard mourut le 24 août 1371 des suites d’une blessure reçue à la bataille de Battweiler, deux jours auparavant. Il était âgé de trente-six ans.