Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
652
[1388]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

De ce messire Édouard de Guerles ne demoura nuls enfans ; mais sa serour germaine, la femme au duc Guillaume[1] de Julliers, avoit des enfans ; si que, par la succession de son frère, elle dit et porta outre que la duché de Guerles lui retournoit et appartenoit, et se mit avant. Aussi fit son ains-née suer du premier mariage[2] ; car on lui dit, puis que ses deux frères étoient morts sans avoir hoirs de leurs propres corps par mariage, que l’héritage lui retournoit. Ainsi vint la différence entre les deux sœurs et le pays, car les uns vouloient l’une, et les autres l’autre. Or fut conseillé à la dame ains-née qu’elle se mariât et prensist homme et seigneur de haut lignage, qui lui aidât à chalenger et défendre son héritage. Elle eut conseil, et fit traiter, par l’archevêque de Cologne qui pour ce temps étoit, devers messire Jean de Blois[3], qui pas encore n’étoit comte de Blois, car le comte Louis, son frère, vivoit, qu’il voulsist à li entendre, et qu’elle le feroit duc de Guerles ; car par la succession de ses deux frères qui morts étoient, sans avoir hoirs mâles de leurs corps par loyal mariage, les héritages lui en retournoient, et de droit, et que dessus li, nuls ni nulles n’y avoient proclamation de chalenge.

Messire Jean de Blois, qui toujours avoit été nourri ens ès parties de Hollande et de Zélande, car il y tenoit bel héritage, et qui en aimoit la langue, ni oncques ne s’étoit voulu marier en France, entendit à ce traité volontiers : et lui fut avis qu’il seroit un grand sire et grand terrien, ès marches qu’il aimoit mieux ; et aussi les chevaliers de son conseil de Hollande lui conseilloient. Si accepta celle chose, mais avant il s’en vint, quant que il pouvoit exploiter de chevaucher coursier, en Hainaut et au Quesnoy, pour parler à son cousin le duc Aubert, pour savoir et voir qu’il lui en diroit et conseilleroit. Le duc Aubert, au voir dire, ne lui en sçut bonnement que conseiller ; et, s’il le sçut, si ne lui en fit-il oncques nul semblant ; mais s’en dissimula un petit ; et tant que messire Jean de Blois ne voult point attendre la longueur de son conseil ; ainçois monta tantôt à cheval, et s’en retourna au plus tôt comme il put en Guerles ; et là épousa la dame de quoi je vous parle, et se bouta en la possession du pays. Mais tous ni toutes ne le vouldrent pas prendre ni recueillir à seigneur, ni la dame à dame ; ainçois se tint la plus saine partie du pays, chevaliers, écuyers et les bonnes villes, à la duchesse de Julliers, car celle dame avoit de beaux enfans ; parquoi ceux de Guerles l’aimoient mieux.

Ainsi eut messire Jean de Blois femme et guerre, qui moult lui coûta, car quand le comte Louis, son frère, mourut, il fut comte de Blois, et sire d’Avesnes en Hainaut ; et encore lui demeuroient toutes les terres de Hollande et de Zélande, où il tenoit en ces dites comtés très grands héritages ; et toujours lui conseilloient ceux de son conseil, qu’il poursuivit son droit, qu’il avoit de par sa femme, la duchesse du Guerles. Aussi fit-il à son loyal pouvoir. Mais Allemands sont durement convoiteux ; si ne faisoient guerre pour lui, fors seulement tant que son argent couroit et duroit. En ce touaillement et au chalenge de la duché de Guerles, qui oncques profit ne lui porta, fors que très grans arrérages et dommages, mourut le gentil comte messire Jean de Blois en le chastel de la bonne ville d’Esconehove, en l’an de grâce Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et un, au mois de juin, et fut apporté en l’église des Cordeliers, en la ville de Valenciennes ; et là ensevely de-lez messire Jean de Hainaut son tayon.

Or fut messire Guy de Blois, son frère, comte ; et tint toutes les terres, par droite hoierie et succession, que les deux frères avoient tenues, tant en France, comme en Picardie, en Hainaut, en Hollande et en Zélande, avecques la dite comté de Blois. Ne sais quants ans après mourut celle dame qui avoit été femme au comte Jean de Blois. Si demoura sa sœur, la duchesse de Julliers, paisiblement duchesse de Guerles.

Or étoit ordonné par l’accord des pays et à la requête des chevaliers et des bonnes villes de la duché de Guerles, qu’ils eussent à seigneur messire Guillaume de Julliers, ains-né fils au duc Julliers, car la terre lui retournoit par droite hoierie de succession de ses oncles ; et jà eu celle instance lui avoient le duc Aubert et la duchesse

  1. Guillaume Ier.
  2. La contestation au sujet de l’héritage de Gueldres était, d’une part, entre Guillaume fils de Jean, fils de Guillaume-le-Vieux, duc de Juiliers, et Marie, sœur d’un premier mariage de Regnaud et d’Édouard ; et de l’autre part, Mathilde, sœur aînée de Marie, et veuve de Jean Ier, comte de Clèves.
  3. Jean de Châtillon, comte de Blois, épousa Mathilde en 1372.