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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/686

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

à monseigneur et à ses oncles. Et pourtant que on s’émerveille grandement en France de ce que à obéissance, là où vous devez avoir, vous ne voulez venir ni descendre, tant que plusieurs murmurations en sont à la cour du roi et ens ès hôtels de ses tenables, afin que pleinement vous soyez sommé. Monseigneur de Berry, qui grandement vous aime, à ce qu’il montre, nous prie que vous veuilliez descendre à toute raison et avoir connoissance telle de votre état et affaire, que duc de Bretagne doit avoir à son naturel seigneur le roi de France ; pourquoi vous n’entrez en son indignation et mal volonté ; car je vous dis, monseigneur, que le roi est un sire de grand’emprise et de haute et de noble volonté. Si vous allez contre lui et il vous fasse guerre, vous ne l’aurez pas d’avantage ; car les barons, les chevaliers et les bonnes villes de Bretagne, demoureront toutes de-lez lui. Laquelle chose, tant que de la guerre, pour le présent il n’a nulle volonté de le faire, si vous ne le courroucez encore secondement plus que courroucé vous ne l’ayez. Quoique plusieurs disent généralement parmi le royaume que vous l’avez bien desservi ; nequedent il n’y veut ni ne peut descendre de courage ; car vous êtes en France un plus haut pair qui y soit ; et là où vous voudriez demourer de-lez lui amiablement, vous trouverez en lui toute amour et courtoisie ; et vous verra aussi volontiers de-lez lui que seigneur nul qui soit tenable de lui. Si vous prie, monseigneur, que à toutes ces choses vous veuilliez entendre et descendre tant que monseigneur le roi, et nous qui sommes de son lignage et du vôtre, vous en sachons gré. »

Le duc de Bretagne répondit à toutes ces paroles présentes, et montra par ses réponses qu’il n’étoit pas bien encore conseillé ; si dit : « Beau cousin, nous savons bien que tout ce que vous nous dites et montrez c’est en espèce de bien ; et ainsi nous le retenons et nous y penserons, car nous n’y avons pas encore bien pensé ; et vous demeurez de-lez nous tant comme il vous plaira ; car votre venue nous fait grand plaisir. »

Autre réponse, pour le présent, ne put avoir le comte d’Estampes, mais il demoura de-lez le duc de Bretagne, et étoit son corps logé en son hôtel.

Environ quinze jours fut le comte d’Estampes en la cité et en la marche de Vennes, devers le duc de Bretagne qui lui montroit très grand amour et grand’compagnie ; et lui montra le bel et plaisant chastel de l’Ermine qui siéd assez près de Vennes, lequel le duc avoit fait nouvellement édifier, maçonner et ouvrer, et y prenoit une partie de ses délits. Or le comte à la fois, quand il cuidoit trouver le duc en bonnes, lui remontroit doucement et sagement ce pourquoi il étoit là venu ; et le duc couvertement toujours répondoit ; mais sur ses réponses on n’y pouvoit ajouter foi ni grand’sûreté de faire nulle restitution des cent mille francs et des chastels qu’il tenoit du connétable. Nequedent en la parfin il le fit, mais ce fut sans parole, sans prière et sans nulle requête de nully, quand on s’en donna le moins de garde : si comme je vous donnerai à connoître tout en traitant de la matière, et selon ce que je fus adoncques informé.

Quand le comte d’Estampes vit qu’il séjournoit là et rien n’exploitoit, si s’avisa qu’il prendroit congé au duc, et retourneroit en France devers le duc de Berry qui là l’avoit envoyé. Si prit congé au duc. Le duc le lui donna moult amiablement, et lui fit au départir présenter un très beau coursier amblant, ordonné et scellé et appareillé, ainsi que pour le corps du roi ; et lui donna un annel et une pierre dedans, qui bien avoit coûté mille francs.

Ainsi se départit le comte d’Estampes du duc de Bretagne, et se mit en chemin, et s’en retourna par Angers, et là trouva la roine de Naples et Jean de Bretagne, son frère, qui moult désiroient à ouïr des nouvelles, et lui dirent : « Beau cousin, vous devez bien avoir besogné, car vous avez moult longuement demouré. » Adonc leur recorda-t-il une partie de son exploit ; dont la fin fut telle qu’il dit qu’il n’avoit rien fait. Quand il eut été de-lez eux un jour, il prit congé, et se mit à chemin pour retourner devers Tours ; et fit tant par ses journées qu’il vint en Berry, et trouva le duc de Berry à Mehun-sus-Yèvre, un sien moult bel chastel, lequel aussi il avoit fait nouvellement édifier, et encore y faisoit-il ouvrer tous les jours. Quand le duc de Berry vit le comte d’Estampes revenu, il lui fit bonne chère, et lui demanda des nouvelles de Bretagne. Il lui recorda de point en point et de clause en clause tout ce qu’il avoit vu, ouï et trouvé ; et lui dit bien que ce duc de Bretagne on ne pouvoit briser, mais demouroit toujours en sa tenure. Le