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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avoit grandes alliances à son serourge, le jeune roi Charles de Navarre, et le roi à lui, car le duc lui promettoit, que, s’il pouvoit venir à ses ententes, et qu’il tenist puissance de gens d’armes et d’archers d’Angleterre sur les champs, il les meneroit tout droit en Normandie, et recouvreroit de prime-face toutes les bonnes villes et les chastels que le roi Charles[1] de France, oncle de ce roi de Navarre, avoit pris et fait prendre par ses gens, le seigneur de Coucy et autres. Sur cel état avoit le roi de Navarre grand’espérance, et en tenoit en double amour le duc de Lancastre qui séjournoit à Bayonne ; et avoit entre eux grandes alliances ; et de toutes ces choses on en vit les apparences, si comme je vous dirai ci-après.

En l’an de grâce Notre Seigneur mil trois cens quatre vingt et huit, le septième jour du mois d’avril, fut conclu, arrêté et ordonné, au conseil du roi d’Angleterre et de ses oncles, le duc d’Yorch et le duc de Glocestre, que le comte Richard d’Arondel, tout en chef et souverain d’une armée par mer, où il auroit mille hommes d’armes et trois mille archers, se trairoit à Hantonne, et là seroit le quinzième jour du mois de mai, et y trouveroit sa nave toute prête, chargée et appareillée ; et là à ce jour devoient être en la marche tous ceux qui avecques lui devoient aller en ce voyage. Si tint le roi d’Angleterre, le jour Saint-Georges en suivant, une très grande fête au chastel de Windesore ; et là furent, ou en partie, les chefs des seigneurs qui avecques le comte d’Arondel devoient aller en ce voyage ; et prirent là congé du roi, et à ses oncles, à la roine et aux dames. Si furent tous à Hantonne, ou là près, au jour qui ordonné y étoit. Puis entrèrent en leurs vaisseaux le vingtième jour de mai, qu’il faisoit très bel et très joli. Là étoient le comte d’Arondel, le comte de Notinghen, le comte de Devensière, messire Thomas de Persy, le sire de Cliffort, messire Jean de Warvich, messire Guillaume-de-la-Sellée[2], le sire de Cameux, messire Étienne de Libery, messire Guillaume Helmen, messire Thomas Moreaux, messire Jean d’Aubrecicourt, messire Robert Scot, messire Pierre de Montbery, messire Louis Clanbo[3], messire Thomas Coq, messire Guillaume Paule et plusieurs autres. Et étoient de bonnes gens d’armes mille lances et trois mille archers ou environ ; et ne menoient nuls chevaux, car ils espéroient que si les choses venoient à leur entente, ils entreroient en Bretagne, et là se rafreschiroient et trouveroient des chevaux assez, et à bon marché, pour eux servir. Et faisoit ce jour qu’ils se désancrèrent de Hantonne, si coi et si seri que la mer étoit toute paisible et toute ainsi que à l’uni. Si vinrent le second jour en l’île de Wisk, et là s’ébattirent tant que vent leur revint. Si rentrèrent en leurs vaisseaux ; et puis tournèrent vers Normandie ; et ne tiroient à prendre terre nulle part, fors à frontoyer les terres de Normandie et de Bretagne, tant qu’autres nouvelles leur viendroient. Si menoient en leur armée vaisseaux qu’on appelle baleiniers courseurs, qui frontioient sur la mer et voloient devant pour trouver les aventures, ainsi que par terre aucuns chevaliers et écuyers montent sur fleur de coursiers, volent devant les batailles, et chevauchent pour découvrir les embûches. Nous nous souffrirons un petit à parler de celle armée, et parlerons des besognes de Guerles et de Brabant, et conterons, à présent, comment on mit le siége devant la ville de Gavres.

CHAPITRE CVI.

Comment les Brabançons mirent le siége devant le ville de Gavres ; comment le connétable de France prit Saint-Malo et Saint-Mahieu-de-fine-Poterne, y mettant gens en garnison.


En ce temps et en le même mois de mai, s’émurent les nobles de Brabant, chevaliers et écuyers et bonnes villes, sus l’entente que pour aller mettre le siége devant la ville de Gavres, et disoient ainsi les Brabançons : « Nous entendons que le roi de France à puissance veut venir en ce pays et entrer en Guerles ; il nous montre grand amour ; à tout le moins montrons-lui aussi que la guerre est nôtre, et faisons tant que nous ayons honneur. Allons et conquérons, soit par siége, soit par assaut, la ville de Gavres. Si aurons une belle entrée et à notre aise, et le roi aussi en la duché de Guerles. Ce ne nous devroit pas trop longuement tenir. » De celle emprise étoit trop grandement réjouie la duchesse de Brabant, et en savoit à ses gens, de la bonne volonté qu’ils lui montroient, très grand gré. Sur cel état ils ne mirent nul délai ; mais se départirent les hommes par connétablies des bon-

  1. Charles V.
  2. William Leslie.
  3. Clanborough.