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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

l’avoient, fors que ses gens qui étoient issus hors de Bretagne, et qui étoient avecques lui venus à Paris. Depuis, tout à loisir le duc de Bretagne parla au roi de France et à ses oncles, tant que tous se contentèrent bien de lui ; et lui tint-on bien ce qu’on lui eut en convenant, car oncques il ne vit, de ce voyage, Jean de Bretagne ni le connétable de France.

Quand ces seigneurs virent que les choses étoient en bon état, et que du duc de Bretagne ils n’avoient que faire de douter puisque dedans Paris le tenoient ; car jamais de là partir ne le lairroient, si auroit en partie fait tout ce que le roi et son conseil voudroient, il fut heure, ce leur fut avis, qu’ils s’ordonnassent pour le voyage de Guerles, où le roi avoit si grand’volonté et affection d’aller, pour rebouter ce duc de Guerles qui si vilainement et fellement l’avoit défié ; lesquelles choses, tout considéré, ne faisoient pas à souffrir. Si fut ordonné que le sire de Coucy se trairoit en la marche de Rheims et de Châlons en Champagne, et regarderoit sur le voyage du roi et de son ost, et quel chemin il feroit ; et émouveroit chevaliers et écuyers en Barrois et en Lorraine, et les retiendroit tous au nom de lui, pour mener là où il lui plairoit, sans faire nul trop grand esclandre du roi ; mais mettroit en termes qu’il voudroit faire une chevauchée pour lui, et à son appartenance, en Osteriche. Le sire de Coucy sur cel état se départit de Paris, et s’en vint à Châlons en Champagne et en Rethelois ; et là se tint environ un mois, et retint, de toutes parts, chevaliers et écuyers, en Bar, en Lorraine, en Champagne et en Rethelois.

Le roi de France se départit de Paris, quand on eut parlementé et traité aucunement au duc de Bretagne, et non pas encore tout accompli ; car la cour du roi de France est moult lointaine, quand on veut ; et très bien on y sait tenir les gens, et faire le leur despendre, et petitement besogner. Le roi s’en vint à Montreau-faut-Yonne, en la marche de Brie et de Gâtinols ; et là tint son hôtel ; et souvent chassoit aux cerfs et aux autres bêtes, ès forêts de Brie et de Gâtinois et prenoit ses déduits.

En ces jours dessus dits, le roi là étant à Montreau, une ahatie d’armes s’entreprit d’un chevalier d’Angleterre, qui étoit avecques le duc d’Irlande et lequel on appeloit messire Thomas Harpinghen, et messire Jean des Barres, de laquelle il fut, parmi le royaume de France, grand bruit et grandes nouvelles, et ailleurs aussi. Et se devoit faire l’emprise et ahatie de cinq lances à cheval, et de cinq coups d’épée, et de cinq coups de dague, et de cinq coups de hache ; et si les armures dont ils devoient frapper rompoient, ils devoient recouvrer nouvelles ; tant que les armes seroient parfaites. Si montèrent les chevaliers un jour sur leurs chevaux, quand ils se furent bien armés, ainsi qu’à telle chose, appartient et pourvus de tous leurs harnois pour faire leurs armes ; et là étoient le roi et les seigneurs, à grand’foison de barons et de chevaliers et de peuple, pour voir les armes. Si joutèrent sur chevaux, de quatre lances, moult roidement ; et furent assez bien assises ; et est l’usage ce me semble, à tout le moins l’étoit-il adonc, que l’on n’attachoit son bacinet qu’à une seule lanière, afin que le fer du glaive ne se tînt. Le cinquième coup de glaive fut tel, que messire Jean des Barres consuivit de plein coup le chevalier en la targe dont il étoit couvert, et l’empoingnit de telle façon et manière, qu’il le porta tout jus outre la croupe de son cheval ; et l’abattit tout étourdi ; et convint, à grand’peine, messire Thomas relever. Depuis fut-il remis à point ; et parfirent leurs armes bien et bel, tant que le roi et les seigneurs qui là étoient s’en contentèrent.

CHAPITRE CXII.

Comment le comte d’Arondel et ses gens eurent conseil ensemble comment ils se maintiendroient ; et comment Perrot le Bernois et ses compagnons se mirent sur les champs pour aller devers le comte d’Arondel ; et comment le dit comte alla prendre terre à Marant près la Rochelle avec son armée marine.


Je me suis tenu longuement à parler de l’armée de la mer, dont le comte Richard d’Arondel étoit chef, avecques grand’foison de bons chevaliers et écuyers et autres gens d’armes d’Angleterre. Si en parlerai ; car la matière le demande. Vous avez bien ici dessus ouï recorder comment ni en quel état ils étoient issus d’Angleterre, et les grands traités qui avoient été entre le roi d’Angleterre et son conseil et le duc de Bretagne. Or avoient ces Anglois en leur navire toute la saison vaucré, nagé et côtoyé les bandes de Bretagne et Normandie, si force de trop grand vent ne les avoit reboutés avant en la mer. Mais toujours s’étoient-ils retraits sur