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LIVRE III.

les bandes de Bretagne ; et avoient en leur armée vaisseaux qu’on dit balleniers, qu’écumeurs de mer par coutume ont volontiers et qui approchent les terres de plus près que les autres vaisseaux ne font ; et avoient geu à l’ancre celle armée plus d’un mois, à l’encontre de l’île de Brehat en Bretagne ; et s’étoient là rafreschis. Et là eurent nouvelle, car ce n’est pas loin de la Roche Derrien, que le duc de Bretagne étoit allé à Blois parlementer aux ducs de Berry et de Bourgogne ; et ces seigneurs avoient tant exploité et parlementé, que le duc étoit allé sur bon état à Paris ; et couroit renommée, parmi Bretagne, que le duc avoit été si bien venu du roi et de son conseil, à Paris, que de là il ne départiroit, si seroient les choses en sûr état.

Quand le comte d’Arondel entendit ces nouvelles, si fut tout pensif ; et se trait en conseil, avecques les plus grands de son armée, pour savoir comment ils se maintiendroient, ni quelle part ils se trairoient pour employer leur saison. Conseil fut là entre eux tenu et arrêté, qu’ils se trairoient vers la Rochelle et feroient en Rochelois quelque chose. Car, nonobstant qu’ils n’eussent nuls chevaux, ils étoient gens assez pour attendre sur les champs toute la puissance de Saintonge et de Poitou ; parmi tant aussi qu’ils signifieroient leur état en Auvergne et en Limousin, par qui que ce fût des leurs que ils mettroient hors de leurs naves par une barge et sur terre, et cil passeroit parmi Bretagne. Encore n’étoient les trêves entrées ni confirmées de la rivière de Loire ; mais on les traitoit ; et devoient commencer le premier jour du mois d’août ; et étoit messire Hélion de Lignac sur le chemin, allant ou retournant, ne sais lequel, de Bayonne où le duc de Lancastre se tenoit, en France. Si comme le comte d’Arondel et les chevaliers d’Angleterre qui à ce conseil furent appelés imaginèrent, il en avint. Car ils s’avisèrent et prirent un Breton bretonnant qui étoit de la nation de Vennes et servoit à messire Guillaume Helmen qui là étoit, lequel savoit bien et parfaitement trois, voire quatre langages, le breton bretonnant, l’anglois, l’espaignol et le françois, et le firent mettre hors par une petite barge sur le sablon ; et l’enditèrent ainsi : « Tu t’en iras les couvertes voyes tout le pays. Tu connois bien les torses[1], les adresses, et les chemins frayans, et tu feras tant que tu viendras à Chalucet. Salue nous Perrot le Bernois, et lui dis de par nous, qu’il mette sus une chevauchée de gens d’armes et de compagnons de son côté, et des forts et des garnisons qui obéissent à nous, et lesquels font guerre en France et à titre de nous. Tu ne porteras nulles lettres, pour les aventures des prises et des encontres. Dis, si tu trouves nul péril, que tu es à un marchand de vin de la Rochelle qui t’envoie quelque part ; toujours passeras-tu bien. Et dis à Perrot le Bernois qu’il émeuve ses gens à marcher, et tienne le pays de Berry, d’Auvergne et de Limousin, en doute et en guerre, et qu’il tienne les champs, car nous prendrons terre en Rochelois ; et là ferons guerre telle qu’il en aura bien la connoissance. »

Le Breton dit qu’il s’acquitteroit bien de faire son message, si trop grand empêchement ne l’encombroit sur le chemin. Il fut mis hors par une barge, sur le sablon. Il, qui connoissoit toute la marche de Bretagne, se mit à terre, et escheva du premier toutes les villes ; et puis passa par Poitou, et entra en Limousin, et chemina tant par ses journées, qu’il vint à Chalucet, dont Perrot le Bernois étoit capitaine. Ce messager vint aux barrières, et se fit connoître à ceux de la garnison. On le mit dedans, quand on l’eut examiné à la porte ; et puis fut mené devant Perrot le Bernois, et fit son message bien et à point ; duquel message Perrot eut grand’joie, car il désiroit moult à ouïr vraies nouvelles de l’armée de mer. Or les eut-il toutes fresches. Si dit au Breton : « Tu nous es le bien-venu. Aussi avions-nous tous, moi et mes compagnons, grand désir de chevaucher ; et nous chevaucherons hâtivement, et puis après ferons ce qu’on nous enseignera. »

Sur cel état s’ordonna Perrot le Bernois, et manda au capitaine de Carlat, le Bourg de Compane, et au capitaine d’Ouzac, Olim Barbe, au capitaine d’Aloise de-lez Saint-Flour, Aimerigot Marcel, et aux autres capitaines, au long du pays, en Auvergne et en Limousin, qu’il vouloit chevaucher, et qu’ils se missent tous sur les champs, car il apparoit une bonne saison pour eux ; et laissassent en leurs forts, à leur département, si bonnes garnisons qu’ils ne prissent point de dommage. Ces compagnons, qui aussi grand désir avoient de chevaucher comme Per-

  1. Chemins détournés.