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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/732

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et dirent ainsi les recordeurs et rapporteurs : « Vous, messire Henry, et vous, messire Raoul, vous devez savoir que nous avons poursuivi les Escots et découvert le pays tout à l’environ. Les Escots ont été à Pontlan et ont pris en son fort messire Aimons Alphel[1], et de là sont-ils allés devant Octebourch et là giront anuit ; nous ne savons de demain, car à ce se sont-ils ordonnés pour là demourer. Et vous savons bien à dire que leur grand ost n’est point avec eux, car en toute somme ils ne sont non plus de trois mille hommes. »

Quand messire Henry de Percy entendit ces nouvelles, si fut moult réjoui et dit : « Or, aux chevaux ! aux chevaux ! car foi que je dois à Dieu et à monseigneur mon père ! je vueil aller querre mon pennon ; et seront délogés de là encore anuit. » Chevaliers et écuyers qui ouïrent ces nouvelles ne répondirent point du non, mais se appareillèrent tantôt parmi la ville du Neuf-Chastel.

Ce propre soir devoit venir l’évêque de Durem atout grand gent, car il avoit entendu à Durem où il se tenoit, que les Escots s’étoient arrêtés devant le Neuf-Chastel, et que les enfans de Percy, et les barons et chevaliers qui là étoient, les devoient combattre. Donc l’évêque, pour venir à la rescousse, avoit assemblé toutes manières de gens sur le plat pays, et s’en venoit au Neuf-Chastel ; mais messire Henry de Percy ne le volt pas attendre, car il se trouvoit bien accompagné de six cents lances, chevaliers et écuyers, et bien huit mille gens de pied. Si disoit que c’étoient gens assez pour combattre les Escots qui n’étoient pas trois cens lances ou environ et deux mille hommes d’autres gens.

Quand ils se furent tous assemblés, ils se départirent du Neuf-Chastel, ainsi comme à basse remontée, et se mirent aux champs en bonne ordonnance, et prirent le chemin tout tel que les Escots étoient allés en chevauchant vers Octebourch, à sept petites lieues de là et beau chemin ; mais ils ne pouvoient fort aller pour les gens de pied qui les suivoient.

Ainsi que les Escots séoient au souper et que les plusieurs s’étoient jà couchés pour reposer, car ils avoient travaillé le jour à l’assaillir le chastel, et se vouloient lever matin pour assaillir à la froidure, evvous venir les Anglois sur leur logis ; et cuidèrent les Anglois dès leur première venue, en entrant en leur logis, des logis des varlets qui étoient à l’entrée, que ce fussent les maîtres. Si commencèrent les Anglois à crier : « Percy ! Percy ! » et à entrer en ces logis lesquels étoient forts assez. Vous savez que en tels choses grand effroi est levé. Et trop bien chéy à point aux Escots que les Anglois de leur première venue s’embattirent sur les varlets, car quoique ils ne leur durassent que un petit, si furent ces Escots tout pourvus et avisés de ce fait, et virent bien et sentirent que les Anglois les venoient réveiller. Adonc envoyèrent les seigneurs une quantité de leurs gros varlets et de leurs gens de pied où l’escarmouche étoit pour eux plus ensonnier, et entrementes ils s’ordonnèrent, armèrent et appareillèrent et mirent ensemble, chacun sire et homme d’armes dessous la bannière et le pennon de leurs capitaines, et les comtes ainsi que ils devoient aller et répondre ; car, des trois comtes qui là étoient, chacun avoit sa charge. En faisant ce la nuit approchoit fort, mais il faisoit assez clair, car la lune luisoit ; et si étoit au mois d’août et faisoit bel et sery, et si étoit l’air coi, pur et net.

En celle ordonnance que je vous dis se mirent les Escots, et quand ils se furent tous recueillis et mis ensemble sans sonner mot, ils se départirent de leurs logis. Et ne prirent point le chemin en allant tout droit devant eux pour venir au visage des Anglois ; mais côtoyèrent les marécages et une montagne qui là étoit. Et trop grand avantage leur fit ce, au voir dire, que tout le jour ils avoient avisé le lieu où ils étoient logés ; et avoient les plus usés d’armes entre eux devisé et dit ainsi : « Si les Anglois nous venoient réveiller sur nos logis, nous ferions par ce parti, et par tel et par tel. » Et ce les sauva ; car c’est trop grand’chose de gens d’armes à qui on cuert sus de nuit en leur logis, et de jour ils ont avisé le lieu où ils sont logés et dit et devisé entre eux : « Par tel parti les pouvons nous perdre et gagner. »

Quand les Anglois furent venus sus ces varlets, de première venue ils les eurent tantôt rués jus ; mais en allant dedans les logis, toujours trouvoient-ils nouvelles gens qui escarmouchoient à eux et les ensonnioient. Et véez ci venir Escots tout autour, si comme je vous ai

  1. Raimond de Laval.