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LIVRE III.

récage. Si y livrèrent ce jour assaut assez et tant que ils furent tous lassés ; mais rien n’y firent, et sonnèrent la retraite. Quand ils furent venus en leurs logis, les seigneurs se trairent ensemble en conseil pour savoir quelle chose ils feroient. Et étoient la greigneur partie d’accord que à lendemain ils se délogeroient de là sans point assaillir et se trairoient tout bellement devers Carlion, à leurs gens. Mais le comte de Douglas rompit ce conseil et dit : « Au dépit de messire Henry de Percy, qui dit devant hier que il me challengeroit son pennon que je conquis, et par beau fait d’armes, à la porte du chastel, nous ne nous partirons point de cy dedans deux ou trois jours, et ferons assaillir le chastel d’Octebourch[1] ; il est bien prenable. Si aurons double honneur ; et verrai si là en dedans il viendra requerre son pennon. Si il y vient, il sera défendu. »

À la parole du comte de Douglas s’accordèrent tous les autres, tant pour leur honneur que pour l’amour de lui ; car c’étoit le plus grand de toute leur route. Et se logèrent bien et à paix, car nul ne leur devéoit ; et firent grand’foison de logis d’arbres et de feuilles ; et se fortifièrent, et enclouyrent sagement d’uns marécages très grands qui là sont ; et à l’entrée de ces marécages, le chemin de Neuf-Chastel, ils logèrent leurs varlets et leurs fourrageurs ; et mirent tout leur bétail dedans ces marécages ; et puis firent ouvrer et appareiller grands atournemens d’assaut pour assaillir à lendemain. Telle étoit leur intention.

Or vous dirai de messire Henry de Percy et de messire Raoul son frère quelle chose ils firent. Moult leur ennuyoit grandement et tournoit à déplaisance ce que le comte de Douglas avoit conquis, à la porte du Neuf-Chastel à l’escarmouche, le pennon de leurs armes. Encore avecques tout ce, il leur touchoit pour leur honneur trop fort les paroles que messire Henry avoit dites, si il ne les poursuivoit outre ; car il avoit dit au comte de Douglas que point n’emporteroit son pennon hors d’Angleterre ; et tout ce avoit-il au soir remontré aux chevaliers et écuyers de Northonbrelande qui avecques lui étoient logés en la ville de Neuf-Chastel. Or cuidoient les aucuns que le comte de Douglas, et ceux qui à leurs barrières avoient été, ne fût que l’avant-garde des Escots qui là fussent venus escarmoucher, et que leur grand ost fût demeuré derrière. Pourquoi, les chevaliers de Northonbrelande qui le plus avoient usé les armes et qui le mieux savoient comment on s’y devoit maintenir et déduire, avoient rabattu l’opinion de messire Henry de Percy à leur pouvoir en disant ainsi : « Sire, il advient souvent en armes moult de parçons. Si le comte de Douglas a conquis votre pennon, il l’a bien acheté, car il l’est venu quérir à la porte et a été bien battu. Une autre fois conquerrez-vous sur lui autant ou plus. Nous le vous disons, pour tant que vous savez, et nous le savons aussi, que toute la puissance d’Escosse est hors dessus les champs. Si nous issons hors, qui ne sommes pas assez pour eux combattre ni forts aussi, et ont fait espoir celle envaye pour nous attraire hors, et si telle puissance comme ils sont, plus de quarante mille, et qui nous désirent à trouver, nous avoient à leur aise, ils nous enclorroient, et feroient de nous à leur volonté. Encore vaut-il trop mieux à perdre un pennon que deux cens ou trois cens chevaliers et écuyers et mettre notre pays en aventure. Car si, vous et nous qui en sommes chefs, avions perdu, le demourant du pays n’y sauroient ni ne pourroient remédier. »

Ces paroles avoient refréné messire Henry de Percy et son frère, car ils ne vouloient pas issir hors de conseil, quand autres nouvelles leur vinrent, de chevaliers et d’écuyers qui avoient poursuivi les Escots et lesquels savoient tant leur convenant et le chemin lequel ils avoient allé et où ils étoient arrêtés.

CHAPITRE CXXI.

Comment messire Thomas de Percy et messire Raoul son frère atout grands gens d’armes et archers allèrent après les Escots pour conquerre leur pennon que le comte de Douglas avoit conquis devant le Neuf-Chastel-sur-Tyne, et comment ils assaillirent les Escots devant Octebourg.


Conté fut et dit à messire Henry de Percy et à messire Raoul, son frère, et aux autres qui là étoient, par chevaliers et écuyers, droites gens d’armes de Northonbrelande qui poursuivi avoient les Escots depuis que ils se départirent du Neuf-Chastel, et découvert tout le pays à l’environ pour mieux averir leur fait, car ils ne vouloient informer les seigneurs que de vérité ;

  1. Otterbourn.