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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et Escots se rencontreroient ensemble par bataille, il feroit son devoir d’armes, et s’acquitteroit si loyaument à son pouvoir que on le trouveroit pour ce jour le meilleur combattant des deux parties, ou il demeureroit en la peine. Et l’écuyer étoit bien taillé de ce faire, car il étoit grand, fort, hardi et entreprenant. Et fit ce Thomas Waltem ce jour grand’foison de belles appertises d’armes ; et en combattant dessous la bannière du comte de Mouret d’Escosse il fut occis ; ni point ne se voult rendre, car toujours cuidoit-il être rescous. Aucques pareillement du côté des Escots fut occis un moult vaillant écuyer, cousin au comte de Douglas qui s’appeloit Simon de Gladinnin[1], et eut grand’plainte de ceux de son côté. Qui bien conçoit et considère celle bataille, elle fut moult dure et moult felle jusques à la déconfiture ; mais quand Escots virent que Anglois reculoient et perdoient terre, leur courage doubla en double force. Car par nature et droiture, qui voit ses ennemis fuir, il se rencourage en avis et en hardiment. Et toutefois, les Anglois, quand ils venoient sur leur outrance et ils se vouloient rendre, ils trouvoient les Escots moult débonnaires ; et les croyoient légèrement sur leur foi ; mais au fiancer ils leur, disoient ainsi : « Vous êtes mon prisonnier, rescous ou non rescous. » Car il ne savoient point encore quelle chose il leur étoit à venir. Et sachez que si les Escots fussent gens assez pour faire chasse, il n’en fût retourné des Anglois ni échappé pied que tous ne fussent morts ou pris ; mais pour la doute de ce qu’ils sentoient grand’foison d’Anglois sur le pays, ils se tenoient toujours ensemble pour être plus forts et pour garder leurs prisonniers ; et si messire Archebaut Douglas, et les comtes de Fy, de Surland et les autres de la grosse route qui chevauchoient vers Carlion eussent là été, ils eussent pris l’évêque de Durem et la ville de Neuf-Chastel-sur-Tyne. Je vous dirai comment et par quelle raison.

Ce propre soir dont à la remontée les enfans de Percy étoient partis et issus de Neuf-Chastel-sur-Tyne, si comme cy-dessus est contenu, l’évêque de Durem, à tout l’arrière ban de l’archevêché et de la sénéchaussée d’Yorch et de Durem, et des frontières de Northonbrelande, étoit entré en la ville de Neuf-Chastel et y avoit soupé. Entrementres que cel évêque étoit à table, imagination lui étoit venue devant et lui étoit avis qu’il n’acquittoit pas bien son honneur, quand il savoit que ses gens chevauchoient et étoient allés à l’encontre des Escots qui au matin étoient partis de là et avoient aux barrières fait escarmouche, et il se tenoit en la ville. Quand celle imagination lui fut venue et il eut bien parfaitement pensé à la déshonneur qu’il avoit plus grande de séjourner en la ville que du chevaucher ou issir, il fit soudainement ôter la table et enseller les chevaux, et demanda son armure et fit sonner les trompettes parmi toute la ville. Tous ceux qui étoient venus avec lui à Neuf-Chastel furent émerveillés quelle chose il vouloit faire ni où il vouloit aller, car il étoit toute noire nuit, et tous étoient désarmés, et les plusieurs jà couchés, car le jour ils s’étoient travaillés de cheminer. Nequedent, au son des trompettes de l’évêque qui étoit leur chef et leur conduiseur, toutes gens se levèrent, armèrent, appareillèrent à pied et à cheval et s’en vinrent en la place devant l’hôtel du dit évêque qui jà étoit tout prest et ses chevaux ensellés. Quand il put reconnoître et sentir que tous étoient venus, si monta à cheval, et montèrent aussi tous les autres, et issirent par la porte de Bervich ; et étoit bien huit heures en la nuit ; et se trouvèrent bien sept mille hommes, que à pied que à cheval. Quand ils furent sur les champs, tous s’arrêtèrent pour attendre l’un l’autre. On demanda à l’évêque quel chemin il vouloit tenir. « Celui qui le plustôt nous amènera à nos gens. »

Là n’y avoit aucun qui sçût ni pût savoir où leurs gens étoient ; car nul n’étoit retourné de la bataille. Là s’arrêtèrent-ils par les champs, pour savoir et pour imaginer par avis s’ils prendroient le chemin de Bervich ou de Rose-au-Del ou le chemin des montagnes ; et en étoient entre eux en grand estrif. Là disoient les aucuns l’un à l’autre : « C’est grand outrage, et petit sens sera, de cheminer à celle heure, quand nous ne savons pas où nous allons ; et cher nous pourroit coûter celle folie. »

Entrementres comme ils étoient en la position qu’ils cheminoient tout resoigneusement, car ils ne savoient au voir dire quel chemin ils devoient tenir, adonc nouvelles leur vinrent des

  1. Simon Glendinning.