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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/75

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LIVRE II.

et mettre sus, il faut que en la ville de Gand un ancien usage qui jadis y fut soit recouvré et renouvelé, c’est que les blancs chaperons soient remis avant, et ces blancs chaperons aient un chef auquel ils puissent tous retraire et eux rallier. » Cette parole fut moult volontiers ouïe et entendue ; et dirent tous d’une voix : « Nous le voulons ; or avant aux blancs chaperons ! » Là furent faits les blancs chaperons, donnés et délivrés plus de cinq cents, et tous à compagnons qui trop plus cher aimoient la guerre que la paix ; car ils n’avoient rien que perdre. Et fut Jean Lyon élu à être chef de ces blancs chaperons, lequel office il reçut assez liement, pour soi venger de ses ennemis, et pour entroubler la ville de Gand contre ceux de Bruges et le comte son seigneur. Et fut ordonné pour aller contre ces pionniers fossoyeurs de Bruges, comme souverain capitaine, et le doyen des blancs chaperons en sa compagnie. Ces deux avecques leurs gens avoient plus cher guerre que paix.

Quand Gisebrest Mahieu et ses frères virent la contenance de ces blancs chaperons, si ne furent pas trop réjouis ; et dit Estiennart, l’un des frères : « Je le vous disois bien, certes ; cil Jean Lyon nous déconfira. Mieux vaulsist que on m’eût cru et laissé convenir de l’occire ; que ce qu’il fût en l’état où il est et où il viendra, et tout par ces blancs chaperons qu’il a remis sus. » — « Nennil, dit Gisebrest ; mais que j’aie parlé à monseigneur, on les mettra tous jus. Je vueil bien qu’ils fassent leur emprise d’aller encontre ces pionniers de Bruges pour le profit de notre ville ; car au voir dire notre ville seroit autrement perdue. »

Jean Lyon et sa route et tous les blancs chaperons se partirent de Gand, en volonté et en propos de tous occire ces pionniers fosseurs et ceux qui les gardoient. Les nouvelles vinrent à ces fosseurs et à leurs gardes que les Gantois venoient là moult efforcément ; si se doutèrent de tout perdre, et laissèrent leur ouvrage, et se retrairent à Bruges tout effrayés, ni oncques puis ne s’enhardirent de fossoyer. Quand Jean Lyon et les blancs chaperons virent qu’ils n’y avoient nullui trouvé, si furent tout courroucés et se retrairent à Gand. Pour ce ne cessèrent-ils mie de leur office ; mais alloient les blancs chaperons tout avisans parmi la ville. Et les tenoit Jean Lyon en tel état, et disoit à aucuns tout secrètement. « Tenez-vous tout aises, buvez et mangez, et ne vous effrayez de chose que vous despendiez ; tel payera temprement votre écot qui ne vous donroit pas maintenant un dîner. »

Ce terme pendant et cette même semaine que Jean Lyon et les blancs chaperons furent mis sus pour trouver les pionniers fosseurs de Bruges étoient venues nouvelles à Gand et requêtes pour ceux qui des franchises de Gand se vouloient aider, en disant à ceux qui la loi maintenoient pour la saison : « Seigneurs, on tient prisonnier à Erclo, ci, de-lez nous, qui est en la franchise de Gand, en la prison du comte, un nôtre bourgeois, et avons sommé le baillif de monseigneur de Flandre ; mais il dit que il ne le rendra point ; ainsi se dérompent petit à petit et affoiblissent vos franchises, qui du temps passé ont été si hautes, si nobles et si prisées, et avecques ce si bien tenues et gardées, que nul ne les osoit prendre ni briser, non plus les nobles chevaliers que les autres ; et s’en tenoient les plus nobles chevaliers de Flandre à bien parés quand ils étoient bourgeois de Gand. » Ceux de la loi répondirent à ceux de la partie du bourgeois que on tenoit en prison : « Nous en écrirons volontiers devers le baillif de Gand et lui manderons que il le nous envoye ; car voirement son office ne s’étend pas si avant que il puist tenir notre bourgeois en la prison au comte, au préjudice de la ville. » Si comme ils le dirent ils le firent, et rescripsirent au baillif pour ravoir leur prisonnier qui étoit à Erclo. Le baillif fut tantôt conseillé de répondre et dit : « Que nous avons de paroles pour un navieur ! Dites, ce dit le baillif qui s’appeloit Roger d’Auterme[1], à ceux de Gand que si c’étoit un plus riche hom dix fois que il ne soit, si ne sera-t-il jamais hors de notre prison, si monseigneur de Flandre ne le commande ; j’ai bien puissance de l’arrêter, mais je n’ai nulle puissance de le délivrer. » Les paroles et réponses de Roger d’Auterme furent ainsi recordées à ceux de Gand, dont ils furent moult courroucés ; et dirent qu’il avoit orgueilleusement répondu. Pour telles réponses et pour telles incidences que pour des fosseurs de Bruges, qui fossoyer vouloient sur l’héritage de ceux

  1. Meyer l’appelle en latin Rogerius Duternius, et Oudegherst, Roger van Oultrenick.