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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

poursuivre, pour les embûches de mer. Si les laissèrent aller et retournèrent. Mais le maréchal de France fut moult courroucé sur ceux de la Rochelle, de ce que si tard ils lui avoient signifié la venue des Anglois. Le comte d’Arondel prit le chemin de la mer, pour venir à Bordeaux par la Garonne ; et le siége de Bouteville se dérompit, car Guillonnet de Sainte-Foy se repourvéy de tout point, endementre que messire Louis de Sancerre revint à la Rochelle et à la Palice, pour vouloir combattre les Anglois.

Or retournons un petit à parler du duc de Lancastre, et des traités qu’il avoit aux Espaignols, et aussi au duc de Berry, pour le mariage de sa fille. Le roi de Castille y entendoit pour son fils, et pour venir à paix aux Anglois. Le duc de Berry y entendoit pour lui, car trop grand désir avoit de lui marier. Le duc de Lancastre, comme sage et imaginatif, véoit que plus profitable lui étoit à entendre au roi de Castille qu’au duc de Berry. Car, parmi tant il recouvreroit l’héritage de Castille, au temps à venir, peur sa fille ; et s’il donnoit par mariage sa fille au duc de Berry, et le duc de Berry mouroit, sa fille seroit une povre femme, au regard des autres dames ; car le duc de Berry de son premier mariage avoit des enfans qui en porteroient le profit. Aussi la duchesse de Lancastre s’inclinoit au fils du roi de Castille. Donc il avint, quand messire Hélion de Lignac se fut départi du duc de Lancastre et mis au retour devers le duc de Berry qui étoit en Allemagne, les traiteurs et les procureurs qui le mariage demenoient, se trairent avant, de par le roi de Castille. Ceux furent recueillis et ouïs, et, acceptées leurs paroles ; et fut le mariage enconvenancé et juré, de Catherine de Lancastre au fils au roi de Castille ; et furent levées lettres et instrumens publiques de toutes les convenances et obligations et profits sans nul retour de rappel, ni de repentise : et, parmi tant, la duchesse Constance de Lancastre, quand ses besognes seroient à ce ordonnées, devoit sa fille mener en Castille. Encore étoit le roi de France en Juliers et sur les frontières.

CHAPITRE CXXX.

Comment, étant encore le roi Charles sur les frontières de Juliers, quelques pillards allemands se jetèrent par une partie de son camp, y prenant plusieurs prisonniers ; et comment le roi, entrant au vingt-un an de son âge, eut lui-même le gouvernement de son royaume ; et comment, sachant la conclusion du mariage de Castille et de Lancastre, envoya vers le roi d’Espaigne, pour lui remontrer de ne faire nulles alliances à son préjudice.


Vous savez, si comme ici dessus est contenu, comment les convenances et ordonnances se portèrent entre le roi de France et les ducs de Juliers et de Guerles, et sur quel état le département fut fait. Toutes-fois tous se mirent au retour ; et avint que, sur les frontières d’Allemagne et le département des terres, une nuit qu’il faisoit moult clair de la lune, environ heure de mie-nuit, vinrent Allemands, robeurs et pillards qui ne tenoient ni trève ni paix, mais vouloient toujours aller à l’avantage : et étoient des gens, et dessous le seigneur de Blanquenehem, et de messire Pierre de Arneoerch[1]. Ceux s’en vinrent, moult bien montés, aviser en l’ost où ils feroient le mieux leur profit ; et passèrent parmi les logis du vicomte de Meaux ; et le trouvèrent, lui et ses gens, en bon convenant. Ils passèrent outre, et puis retournèrent, sans sonner mot, allant et retournant ; et se retrairent là où ils avoient leur embûche ; et recordèrent tout ce qu’ils avoient trouvé. Assez tôt après avint qu’une grand’route d’Allemands, pillards, vint, et se bouta dedans le logis des François, sur leur avantage : et en ruèrent jus je ne sais quants qu’ils trouvèrent à la découverte ; et prirent quatorze hommes d’armes. Là furent pris le sire de la Viéville, et le sire de Mont-Caurel, et menés en voie. Celle aventure eurent-ils celle nuit, par faire povre guet, et par mauvais convenant. À lendemain, que les nouvelles furent reçues du seigneur de la Viéville et du seigneur de Mont-Caurel, qu’ils étoient pris, si en furent tous ceux à qui la connoissance en vint courroucés, et s’ordonnèrent depuis plus sagement. Quand le roi de France se départit de Juliers et il se mit au retour, nul ne demeura derrière ; et vidèrent toutes les garnisons, messire Guillaume de la Trémoille et messire Servais de Méraude, et tous les autres, et se trairent les Brabançons en leurs lieux.

  1. Aremberg.