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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

vaux, armures, arroi, vaisselle, or et argent ; et furent menés tous prisonniers à une ville, et fiancèrent chacun, qui taillé étoit de ce faire, foi, prison et serment, envers ceux qui les ruèrent jus. Et par espécial le duc de Guerles fiança prison, par foi, obligation et serment, envers un écuyer qui s’appeloit Conrard, son surnom ne sais-je pas ; et furent le duc de Guerles et ses gens menés en une forte ville, en la terre de ce duc de Stuelpe : non que le duc personnellement y fût. De cela ne fus-je pas informé si avant.

Quand les hauts maîtres[1] de Prusse entendirent ces nouvelles, que le duc de Guerles sur son chemin, en là venant, avoit été rué jus, si en furent durement courroucés ; et dirent que la chose n’en demeureroit pas ainsi, et que trop à grand blâme leur tourneroit celle prise. Si firent tantôt leur mandement grand, et se départirent de Connisbergue[2] et s’en vinrent, à effort de gens d’armes, devers la ville ou le chastel, là où on tenoit en prison le duc de Guerles.

Quand cet écuyer, qui son maître étoit, fut informé de celle chevauchée, si se douta ; et s’avisa qu’il ne se tiendroit point en ce chastel ; mais se départiroit, car trop mal lui iroit, si pris ni attrapé il étoit ; mais, avant son département, il s’en vint au duc de Guerles, et lui dit ainsi : « Duc de Guerles, vous êtes mon prisonnier, et je suis votre maître. Vous êtes gentil homme et loyal, vous m’avez convenancé et juré par foi que, quelque part que je irois ni voudrois aller, vous me suivriez. Je ne sais si vous avez mandé le haut maître de Prusse. Il vient ci efforcément, et ne suis pas conseillé de lui attendre. Demeurez, si vous voulez, ou me suivez si vous voulez. J’emporte votre foi avecques moi. »

Le duc de Guerles à toutes ces paroles ne répondit point : et l’écuyer monta, et se partit, et se mit en lieu et en place assez forte. Mais à son département il dit ainsi encore, au duc de Guerles : « Vous me trouverez en tel lieu. » Si lui nomma un chastel, fort durement, et hors du chemin. Quand il se fut départi et mis à sauveté, le haut maître de Prusse, atout puissance de gens, vint là où le duc de Guerles étoit. Nul ne lui alla au devant pour le défendre. Il le délivra de là où il étoit, et toutes ses gens aussi qui là étoient ; et, s’il eût trouvé l’écuyer qui pris l’avoit, sans faute il l’eût mis à mort. Si s’en retournèrent vers sa ville de Connisbergue, et s’y retira, et le duc de Guerles en sa compagnie.

Or vous dirai qu’il avint de celle besogne. Bien est vérité qu’il en fut grand’nouvelle en plusieurs pays, et espécialement en Allemagne : et en parla-t-on en plusieurs manières, et venoient les paroles à grand’merveille aux seigneurs qui les ouïrent recorder. Quand le duc de Guerles fut venu à Connisbergue, qui délivré avoit été par la forme et ordonnance que je vous dis, et il eut pensé et imaginé sur ses besognes, et comment cel écuyer l’avoit fiancé par foi obligée, et quelle chose il lui avoit dit à son département, si fut moult mélancolieux : et dit en soi-même que nullement il ne pouvoit voir qu’il fît loyauté, ni s’acquittât bien de sa foi ; et dit au haut maître de Prusse qu’il ne vouloit là plus séjourner : ni pour chose qu’on lui sçùt dire ni montrer, fût par dispensation, absolution, ni

    la fin de l’année 1388, pour aller secourir les chevaliers teutoniques et leur grand-maître Conrard Zolner de Rotenstein, dans leurs guerres contre les Lithuaniens, Wenceslas, duc de Poméranie, le fit arrêter à son passage dans ses états, sous prétexte qu’il n’avait pas de sauf-conduit, et il ne recouvra sa liberté qu’en promettant de ne jamais porter les armes contre la Pologne ni contre la Poméranie.

    J. Isaac Pontanus (Historiæ Gelrix. L. 8. anno 1388), raconte ainsi qu’il suit cette expédition du duc de Gueldres :

    Invenio eàdem tempestate, sopito jàm bello brabantico, Gulielmum duoem denuò Prutenos adiisse, ac junctis suis, quas ad manum habebat, cum Ordinis magistri copiis, expugnasse quaquaversùm infideles, ac pluribus eorum castellis ac munitionibus potitum. Postremò à quodam Pomeraniæ ducis Vartislai cliente, Eggardo à Demewoldo, cùm jàm in patriam redire pararet, per insidias captum detentumque in arce Vaikenburgensi per semestre propemodùm, amissis in conflictu adversùs eumdem ducis satrapam, præter cœteros, Theodorico de Eilar et Petro de Bylant, militibus virisque perstrenuis, ac ultimò accurrentibus magistri Ordinis copiis, dimissum liberatumque, quamvis id ipsum ab aliis paulò aliter narratum legam, volentibus classem in usum atque auxilium Theutonici Ordinis contrà Polonum à duce Gulielmo paratam, atque ipsum more ac habitu eorum qui religionis ergà iter faciunt, Borrussiam terram petivisse, eà meute ut classis quam collegerat per Balticum mare subsequeretur ; sed re detectà, Pomeraniæ ducem detineri eum jussisse, quòd, absque salvo conductu, suas oras intrasset. Dimissum tamen haud multò post, factà promissione se nihil adversùs Poloniæ regem ac duces Pomeraniæ clàm palàmve moliturum. Addit Berchemius non antè egredi carcere voluissel nisi cliens Vartis, ai qui eum ceperat, injurià à se captum fateretur.

  1. C’est-à-dire les chevaliers teutoniques.
  2. Koenisberg.