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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

amenée en Avignon, et descendit au palais, d’une très belle et bonne haquenée toute blanche que le pape lui avoit envoyée. Et dîna là et tous les seigneurs. Sachez que ce pape Clément la recueillit grandement. Il y étoit tenu, car la damoiselle étoit fille de son cousin germain, le comté Jean de Boulogne. Et fut la dame logée à l’hôtel du cardinal de Tury ; et le vendredi au matin elle se partit d’Avignon et vint à Orange ; et là fut jusques au dimanche, car le prince étoit son cousin.

Celle dame, à petites journées et à grands frais, exploita tant que elle vint en Auvergne, et fut amenée à Riom ; et le jour de la Pentecôte au matin le duc de Berry l’épousa en sa chapelle. Et là furent d’Auvergne, le comte de Boulogne, le comte Dauphin, le sire de la Tour, le sire de Roie, et messire Hugues Dauphin, et grand’foison de seigneurs et de dames ; et là fus présent. Et après toutes ces fêtes, si m’en retournai en France, avec le seigneur de la Rivière[1].

CHAPITRE CXXXVIII.

Comment certains traiteurs et sages hommes pourparlèrent, et prirent unes trèves, à durer trois ans, entre les François et Anglois, et tous leurs alliés, tant d’une partie comme d’autre, par mer et par terre.


Vous savez comment unes trèves furent prises entre les parties et garnisons d’outre la rivière de Loire, de tous côtés jusques à la rivière de Dordogne et de Gironde, à durer jusques à la Saint-Jean-Baptiste, qu’on compta, pour lors, en l’an de grâce mil trois cens quatre vingt et neuf. Ces trèves durans en cel état, aussi d’autre part s’ensonnioient grands seigneurs et sages, entre les parties de France et d’Angleterre, pour traiter unes trèves, â durer trois ans, par mer et par terre ; et étoit l’intention des traiteurs qui de ce s’ensoignoient, que dedans ces trèves seroient enclos, pour la partie du roi de France, tous ceux qui de sa guerre s’ensoignoient : et premièrement le royaume de Castille tout entièrement, par mer et par terre, et aussi tout le royaume d’Escosse, par mer et par terre ; et d’autre part, du côté du roi d’Angleterre, tous ses alliés ; et enclos dedans le roi et le royaume de Portingal, et plusieurs barons de la haute Gascogne. Si eurent moult de peine et de travail ces traiteurs, avant qu’ils pussent avenir à leur entente, car nullement les Escots ne s’y vouloient assentir. Et, quand les nouvelles furent venues en Escosse, de par le roi de France, au roi Robert d’Escosse, il, de sa personne, s’y accorda légèrement, car il ne demandoit point la guerre. Si fit venir un jour à Haindebourch, sa maîtresse ville, tous les barons et prélats d’Escosse auxquels de celle besogne répondre en appartenoit ; car, sans leur sçu, le roi ne l’eut point fait ; et, s’il l’eût accordé, ils ne l’eussent pas tenu. Si furent en la présence d’iceux lues les lettres que le roi de France leur envoyoit ; et vouloit par ses paroles qu’ils scellassent et s’accordassent à ces trèves de trois ans.

Ces nouvelles leur furent trop dures ; et dirent adoncques : « Le roi de France ne sert fors a trèver quand il est temps de guerroyer. Nous avons en celui an rué jus les Anglois ; et encore se taille bien la saison que nous les ruerons jus secondement, et tiercement. » Là eut plusieurs paroles retournées entre eux, car nullement ils ne s’y vouloient assentir ni accorder. Finablement, il fut accordé qu’ils envoyeroient un évêque et trois chevaliers, de par eux, en France, devers le roi et son conseil, pour briser tous ces traités, et pour remontrer la bonne volonté du royaume d’Escosse. Si en furent ordonnés l’évêque de Saint-Andrieu, et, des chevaliers, messire Archebaus de Douglas, messire Guillaume de Lindesée, et messire Jean de Saint-Clar. Ceux se départirent le plus tôt qu’ils purent ; et montèrent en mer, et arrivèrent à l’Escluse ; et puis chevauchèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Paris devers le roi et son conseil, et montrèrent les lettres de créance de tous les barons et prélats du royaume d’Escosse. Ils furent ouïs et volontiers entendus, pour la grand’affection qu’ils avoient de procéder en la guerre à l’encontre des Anglois : mais, nonobstant ce, la chose étoit des parties si avant menée, traitée et pourparlée, qu’on ne la pouvoit ni vouloit reculer. Si fut répondu aux Escots doucement ; et convint que la chose se fît. Si le firent : et prirent unes trèves, par l’aide des moyens qui s’en ensoignèrent ; et eurent plusieurs journées de traités et de parlemens à Lolinghen, entre

  1. Le manuscrit 8325 et les autres manuscrits de la Bibliothèque royale se terminent à ce chapitre. Le chapitre suivant m’est fourni par ma copie du manuscrit de Besançon.