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LIVRE II.


CHAPITRE LVIII.


Comment les Gantois et les Flamands assiégèrent Audenarde, et comment ils allèrent réveiller le comte à Tenremonde ; et comment le duc de Bourgogne traita et pacifia les Flamands au comte leur seigneur.


Le comte de Flandre, qui se tenoit à Lille, entendit que ceux d’Ypre étoient tournés Gantois, et ce avoient fait les menus métiers ; si fut durement courroucé, tant pour la mort de ses chevaliers qui dedans étoient, qui avoient été occis, que pour autres choses. Toutes fois il se reconforta et dit : « Si nous avons perdu Ypre celle fois, nous le recouvrerons une autre fois à leur male meschéance ; car j’en ferai encore tant trancher de têtes, et là et ailleurs, que les autres s’en ébahiront. » Le comte entendit adonc par espécial moult grandement à pourveoir la ville d’Audenarde de pourvéances et de bonnes gens d’armes pour la garder ; car il supposoit bien que les Gantois venroient là à leur effort pour l’assiéger, et ce lui seroit un trop grand contraire si ils en étoient seigneurs, car ils aroient la bonne rivière de l’Escaut et le navire à leur aise et à leur volonté. Si y envoya premièrement grand’foison de chevaliers et d’écuyers de Flandre, de Hainaut et d’Artois, qui tous se boutèrent et amassèrent léans, et en furent maîtres, voulsissent ou non les gens de la ville. Les capitaines de Gand, qui étoient retraits en leur ville, entendirent comment le comte pourvéoit grandement la ville d’Àudenarde ; si eurent conseil qu’ils la venroient assiéger, et ne s’en partiroient si l’aroient conquise et tous occis ceux qui étoient dedans, et les portes et les murs abattus. Si firent un commandement à Gand, que chacun fût pourvu bien et suffisamment, ainsi comme à lui appartenoit, pour aller là où on les voudroit mener. À ce ban nul ne désobéit ; et s’ordonnèrent et chargèrent tentes et trefs et pourvéances, et partirent de Gand, et s’en vinrent loger devant Audenarde sur ces beaux prés contre val l’Escaut. Trois jours après vinrent cils de Bruges qui furent mandés ; et se logèrent au lez devers leur ville, et amenèrent grand charroi et grosses pourvéances : puis vinrent ceux d’Ypre aussi en grand arroi, ceux de Propinghe[1], ceux de Meschines et du Franc, et aussi ceux de Grand-Mont ; et étoient en compte les Flamands devant Audenarde plus de cent mille[2] ; et avoient fait ponts de nefs et de clayes sur l’Escaut, où ils alloient de l’un à l’autre. Le comte de Flandre, qui se tenoit à Lille, eut en propos que il venroit à Tenremonde, car il avoit mandé en Allemagne, en Guerles et en Brabant grand’foison de chevaliers et d’écuyers, et par espécial le duc des Mons[3], son cousin, qui le vint servir à grand’foison de chevaliers et d’écuyers. Et se boutèrent en Tenremonde et y trouvèrent le duc de Flandre, qui jà y étoit venu par les frontières de Hainaut et de Brabant, lequel fut moult réjoui de leur venue. Ainsi se tint le siége devant Audenarde des Flamands moult longuement. Si y eut fait, le siége étant, plusieurs assauts et grands escarmouches ; et presque tous les jours y avoit faits d’armes aux barrières et gens morts et blessés ; car Flamands s’aventuroient follement et outrageusement. Et venoient jusques aux bailles lancer et escarmoucher. Si en y avoit souvent des morts et des blessés pour leur outrage.

En la ville d’Audenarde y avoit bien huit cents lances de chevaliers et écuyers, et moult vaillans hommes. Là dedans en ce temps y étoient sept barons, tels que le seigneur de Ghistelles, le seigneur de Villiers et de Hullut, le seigneur d’Escornay, Flamands ; et Hainuiers : le seigneur Watier d’Enghien, le seigneur d’Antoing, le seigneur de Briffeuil, le seigneur de Lens, le seigneur de Gommignies, les trois Frères de Hallewyn, messire Jean, messire Daniel, et messire Josse, le seigneur de Scambourn, le seigneur de Crane et messire Girart de Marqueilles, le seigneur de Cohen, le seigneur de Montigny en Hainaut, messire Rasse de Montigny, messire Thierri de la Hamède, messire Jean de Grès, et tant de chevaliers qu’ils étoient cent et cinq. Et si faisoient bon guet et grand, et n’avoient nulle fiance en ceux de la ville ; et avoient fait retraire les femmes et les enfans de la ville ens ès moû-

  1. Pouperinghen.
  2. Meyer, Ann. de Flandre, liv. II, dit seulement soixante mille. Il place le siége d’Oudenarde à la mi-octobre.
  3. Froissart appelle duc des Mons, du mot allemand Berg, Albert de Bavière, alors protecteur ou régent du Hainaut pendant la détention de son frère Guillaume III dit l’Insensé, enfermé pour cause de démence au château du Quesnoy depuis l’an 1357. Ces deux frères étaient fils de l’empereur Louis de Bavière et de Marguerite comtesse de Hollande et de Hainaut, fille de Guillaume-le-Bon et de Jeanne de Valois, sœur du roi Philippe de Valois.