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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tiers[1], et là se tenoient ; et les seigneurs[2] et leurs gens se tenoient en leurs maisons. Et pour le trait des canons et du feu que les Flamands lançoient et traioient soigneusement en la ville pour tout ardoir, on avoit fait couvrir les maisons de terre, par quoi le feu ne s’y pût prendre.

Le siége étant devant Audenarde, les Flamands et les capitaines qui là étoient entendirent que le comte leur seigneur étoit à Tenremonde, et avoit le duc des Mons, son cousin, et grand’foison de chevaliers et écuyers de-lez lui. Si eurent conseil qu’ils envoieroient là six mille de leurs gens, pour voir que c’étoit et pour livrer un assaut à Tenremonde. Si comme ils conseillèrent ils le firent ; et se partirent de l’ost tous ceux qui ordonnés y furent d’y aller ; et avoient à capitaine Rasse de Harselle. Tant exploitèrent les Flamands que ils vinrent, un jeudi au soir, en un village à une petite lieue de Tenremonde sur la rivière de Tenre, et là se logèrent. Cils Flamands avoient pourvu grand’foison de nefs et fait venir aval sur la rivière pour entrer ens et pour assaillir par eau et par terre. Un petit après mie-nuit ils se levèrent, armèrent et appareillèrent de tous points, ainsi que pour tantôt combattre quand ils seroient là venus ; et vouloient surprendre les chevaliers en leurs lits ; et puis se mirent au chemin. Aucunes gens du pays qui sçurent ce convenant s’en vinrent de nuit à Tenremonde, et informèrent les gardes de cel affaire, et leur dirent : « Soyez sûrs[3] et vous tenez sur votre garde ; car grand’foison de Gantois gissent en-nuit[4] moult près de ci, et si ne savons qu’ils veulent faire. » Les gardes des portes recordèrent tout ce au chevalier du guet, qui s’appeloit messire Thierry de Brederode de Hollande. Lors qu’il en fut avisé, si fut sur sa garde, et le fit signifier au chastel et par tous les hôtels en la ville où les chevaliers se logeoient. Droitement sur le point du jour vinrent les Flamands par terre et par eau sur leurs nefs ; et avoient si bien appareillé leur besogne que pour tantôt assaillir. Quand cils de la ville et du chastel sentirent qu’ils approchoient, si commencèrent à sonner leurs trompettes et à réveiller toutes gens ; et jà étoient la greigneur partie des chevaliers et écuyers tout armés. Le comte de Flandre, qui dormoit au chastel, entendit ces nouvelles que les Flamands étoient venus et jà assailloient ; et tantôt il se leva et arma, et issit hors du chastel, sa bannière devant lui. De-lez lui étoient à ce jour messire Gassuins de Wille, grand baillif de Flandre, le sire de Grantmont, messire Girard de Rosenghien, messire Philippe le Jeune, messire Philippe de Mamies et des autres, tels comme messire Hugues de Rogny, Bourguignon. Si se trairent tous ces chevaliers dessous sa bannière, et allèrent à l’assaut qui étoit jà commencé, dur et horrible ; car ces Flamands avoient apporté, en leurs nefs, canons dont ils traioient les carreaux si grands et si forts, que qui en étoit consuivi, il n’y avoit point de remède qu’il ne fût mort. Mais à l’encontre de ces carreaux on étoit moult pavesché[5] ; et avoient les gens du comte grand’foison de bons arbalêtriers, qui donnoient par leur trait moult à faire aux Flamands. D’autre part, en son ordonnance et en sa défense étoit le duc des Mons, sa bannière devant lui. En sa compagnie étoient le sire de Brederode, messire Josse et messire Thierry de la Naire, messire Wivains de Chuperoyes, et plusieurs autres, et faisoient bien chacun son devoir. D’autre part et à une autre porte étoient messire Robert d’Asque, messire Jean Villain, le sire de Vindescot et messire Robert Mareschaux ; et vous dis que cil assaut fut grand et fort. Et assailloient moult ouniement par terre et par eau les Flamands en leurs nefs ; et en y eut grand’foison de blessés d’une partie et d’autre, et plus des Flamands que des gentils hommes ; car ils s’abandonnoient trop follement. Si dura cel assaut, sans point cesser, dès le point du jour jusques à haute nonne ; et là eut mort un chevalier de la partie du comte qui s’appeloit Hugues de Rogny, Bourguignon, dont ce fut dommage ; et y eut grand’plainte, car par son hardement, et lui trop abandonner, il fut occis. Là étoit Rasse de Harselle, qui aussi se portoit vaillamment, et de sa parole avecques son fait rafreschissoit grandement les Gantois.

Quand ce vint après nonne l’assaut cessa, car Rasse vit bien que ils se travailloient en vain et

  1. Moûtier, qui, dans l’origine, signifiait proprement monastère, a été aussi employé dans le moyen-âge pour désigner les églises, même séculières.
  2. Les principaux habitans.
  3. Veillez à votre sûreté.
  4. Cette nuit.
  5. Garanti par le moyen de pavois ou boucliers.