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LIVRE II.

roi, et arriva à Calais, et de là vint à Gravelines, et y fit tant par ses journées qu’il vint à Bruxelles ; et là trouva le duc Wincelant[1] de Brabant et le duc Aubert, le comte de Blois, le comte de Saint-Pol, messire Robert de Namur, messire Guillaume de Namur et grand’foison de chevaliers de Hainaut, de Brabant et d’ailleurs : car là avoit une grosse fête de joutes, et de behours, pour ce y étoient tous seigneurs assemblés. Le duc de Brabant et la duchesse, pour l’honneur du roi d’Angleterre, reçurent le chevalier moult liement ; et quand ils sçurent la cause pourquoi il alloit en Allemagne, si en furent tout réjouis et dirent que c’étoit une chose bien prise du roi d’Angleterre et de leur niepce[2]. Si chargèrent à messire Simon Burlé, à son département, lettres espéciales adressant au roi d’Allemagne, en remontrant qu’ils avoient grand’affection à ce mariage. Si se partit le chevalier de Bruxelles et prit le chemin de Louvain pour aller à Couloingne.

Encore en celle saison[3] furent ordonnés d’aller en Bretagne, du conseil d’Angleterre, deux cents hommes d’armes et quatre cents archers, desquels devoit être souverain meneur et capitaine messire Jean d’Arondel. En celle armée furent élus et nommés messire Hue de Cavrelée, messire Thomas Banestre, messire Thomas Trivet, messire Gautier Paule, messire Jean de Bourchier, le sire de Ferrières, le sire de Basset. Ces chevaliers s’ordonnèrent et appareillèrent, et se trairent tous à Hantonne et firent charger leurs vaisseaux de tout ce qu’il leur besoignoit. Quand ils purent sentir qu’ils eurent vent pour partir, ils croisèrent leurs nefs et entrèrent en leurs vaisseaux et désancrèrent et partirent. Ce premier jour le vent leur fut assez bon ; sur le soir si se tourna et leur fut tout contraire, et les bouta, voulsissent ou non, en ès bondes de Cornouailies ; et avoient si fort vent qu’ils n’y pouvoient ancrer, ni n’osoient. À lendemain ce vent contraire les bouta en la mer d’Irlande, et là ne furent pas bien assurs, si comme il apparut, car ils s’allèrent frotter aux roches d’Irlande, et là rompirent trois de leurs bateaux ès quels messire Jean d’Arondel, messire Thomas Banestre, messire Hue de Cavrelée, messire Gautier Paule, et bien cent hommes d’armes étoient. Des cent en y ot bien quatre vingt péris ; et périrent messire Jean d’Arondel, capitaine de tous, dont ce fut dommage, car il étoit moult vaillant chevalier, hardi, courtois et entreprenant, et messire Thomas Banestre, messire Gautier Paule et plusieurs autres. Et fut messire Hue de Cavrelée en si grand péril que oncques ne fut en pareil ni si près de la mort ; car tous ceux qui en sa nef étoient, excepté sept mariniers et lui, furent tous noyés : mais messire Hue et les autres qui se sauvèrent s’aherdirent aux câbles et aux mâts, et le vent les bouta sur le sablon ; mais ils burent assez et en furent grandement mésaisés. De ce péril échappèrent messire Thomas Trivet et plusieurs autres qui en furent heureux. Si furent-ils moult tourmentés sur la mer ; et retournèrent quand ils purent à Hantonne, et s’en vinrent devers le roi et ses oncles, et recordèrent leur aventure, et tenoient que messire Hue de Cavrelée fût péri ; mais ne fut, ainsi que il apparu ; car il retourna à Londres à tout son pouvoir.

Ainsi se dérompit cette chevauchée et armée de Bretagne ; et ne put être le duc conforté des Anglois ; dont il lui vint à grand contraire, car toute celle saison et l’hiver les François lui firent grand’guerre ; et prirent messire Olivier de Cliçon et ses gens la ville de Dinant en Bretagne par nacelles et bâteaux ; et fut toute pillée et robée ; et la tinrent depuis un grand temps contre le duc et le pays. Or retournerons aux besognes de Flandre.


CHAPITRE LX.


Comment le comte Louis de Flandre alla à Gand. Comment il s’y conduisit. Des termes que on lui tint. Comment il s’en partit et comment les Gantois pensèrent à leur affaire.


Vous savez que quand la paix fut accordée entre le comte de Flandre et ceux de Gand par le moyen du duc de Bourgogne, dont il acquit grand’grâce de tout le pays, l’intention et la plaisance très grande de ceux de Gand étoit que le comte de Flandre venroit demeurer à Gand et tenir son hôtel. Aussi le comte étoit bien conseillé du prévôt de Harlebeque et de tous ses plus prochains de ce faire, pour nourrir plus

  1. Venceslas, duc de Luxembourg, frère de l’empereur Charles IV et oncle de l’empereur Venceslas, était duc de Brabant par sa femme Jeanne, fille de Jean III le Triomphant, duc de Brabant.
  2. Convenable au roi d’Angleterre et à leur nièce.
  3. Froissart rentre ici dans l’ordre chronologique dont il s’était écarté. Suivant Walsingham ce fut vers la fête de saint Nicolas, qui tombe le 6 décembre 1379, que l’Angleterre envoya des troupes au duc de Bretagne.