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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/90

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[1379]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

d’Angleterre ; et jura par sa foi, là où il seroit hâtivement conforté des Anglois, il demeureroit toujours de-lez eux ; et feroit son loyal pouvoir de tourner son pays Anglois ; et le trouveroient ceux d’Angleterre ouvert et appareillé, en quelque manière qu’ils y voudroient venir. Sur cel état il se partit d’Angleterre, messire Robert Canolle en sa compagnie et les deux chevaliers qui l’étoient venu querre, et environ cent hommes d’armes et deux cents archers ; si vinrent à Hantonne, et là attendirent vent. Quand ils l’eurent bon, ils entrèrent en leurs vaisseaux, et singlèrent tant par mer qu’ils vinrent au port de Guerrande. Là prirent-ils terre et chevauchèrent vers Vennes. Ceux de la cité de Vennes reçurent le duc à grand’joie ; et aussi fit tout le pays quand ils sçurent sa venue. Si se rafreschit à Vennes cinq jours ou environ, et puis s’en vint à Nantes. Là le vinrent voir les barons, les prélats, les chevaliers et les dames ; et se offrirent et mirent tous en son obéissance, et se complaignirent grandement des François et du connétable de France, qui avoit couru au lez devers Rennes sur son pays. Le duc les appaisa bellement et dit : « Bonnes gens, je dois temprement avoir confort d’Angleterre, car sans l’aide des Anglois je ne me puis bonnement défendre contre les François ; car ils sont trop forts contre nous, au cas que en ce pays nous sommes différens ensemble[1] ; et quand ceux seront venus que le roi d’Angleterre me doit envoyer, si on nous a fait des torts nous en ferons aussi. » De ces paroles se contentèrent grandement ceux de Bretagne qui étoient de la partie du duc[2]. En ce temps[3], environ la Saint-Andrieu, trépassa de ce siècle messire Charles de Behaigne, roi d’Allemagne et empereur de Rome. Le roi Charles vivant, il avoit tant fait par son or et par son argent et par grands alliances que les éliseurs de l’empire d’Allemagne avoient juré et scellé à tenir roi son fils de toute Allemagne après sa mort, et faire leur loyal pouvoir de tenir le siége devant Ais, et de demeurer de-lez lui contre ceux qui le voudroient débattre : si que, tantôt après la mort de monseigneur Charles, l’empereur son fils s’escripsit roi d’Allemagne, de Behaigne et des Romains.

En celle saison ot grands consaulx en Angleterre des oncles du roi, des prélats et des barons du pays pour le jeune roi Richard d’Angleterre marier ; et eussent volontiers vu les Anglois qu’il se fût marié en Hainaut, pour l’amour de la bonne roine Philippe[4] leur dame, qui leur fut si bonne, si large et si honorable, qui avoit été de Hainaut : mais le duc Aubert[5] en ce temps n’avoit nulles filles en point pour marier[6]. Le duc de Lancastre eût volontiers vu que le roi son neveu eût pris sa fille qu’il ot de madame Blanche de Lancastre, sa première femme ; mais le pays ne le vouloit mie consentir, pour deux raisons : là première si étoit que la dame étoit sa cousine germaine, ce par quoi étoit trop grand proismeté ; et l’autre que on vouloit que le roi se mariât outre la mer pour avoir plus d’alliances. Si fut mise avant[7] la suer[8] au jeune roi de Behaigne et d’Allemagne, fille à l’empereur de Rome qui avoit été. À celui avis se tinrent tous les consaulx d’Angleterre. Si en fut chargé pour aller en Allemagne et pour traiter ce mariage, un moult vaillant chevalier du roi, qui avoit été son maître et fut toujours moult prochain au prince de Galles son père ; si étoit nommé le chevalier messire Simon Burlé, sage et grand traiteur durement. Si fut à messire Simon ordonné tout ce que à lui apartenoit, tant de mises comme d’autres choses. Si se partit d’Angleterre en bon ar-

  1. D’autant plus que nous sommes divisés en Bretagne.
  2. Le duc de Bretagne arriva à Rennes et y fit son entrée le 20 août 1379.
  3. Froissart ne suit pas l’ordre des temps. L’empereur Charles IV était mort dès le 29 novembre 1378 ; Vinceslas, son fils, avait été élu roi des Romains en 1370, et lui succéda à l’empire.
  4. Philippe de Hainaut, femme d’Édouard III, roi d’Angleterre.
  5. Albert, depuis comte de Hainaut, était alors protecteur du comté pendant la démence de son frère Guillaume, dit l’Insensé, après la mort duquel il prit le titre de comte en 1389.
  6. En âge d’être mariée.
  7. En 1380 et 1381.
  8. Anne de Luxembourg ne fut point demandée en mariage en 1379. Le premier acte qui concerne ce mariage est du 26 novembre 1380, les autres traités sont des mois de janvier, mai, octobre et décembre 1381. La princesse devait être remise en Angleterre ou à Calais vers la Saint-Michel 1381. L’Art de vérifier les dates place ce mariage vers la fin de 1381 et avec raison. On voit dans Rymer une commission du premier décembre 1381 pour recevoir à Calais la reine future des mains des ambassadeurs de son frère Venceslas, et dans un autre acte, du 15 décembre, le roi d’Angleterre accorda des grâces à la prière de sa chère compagne et épouse Anne, reine d’Angleterre.