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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/103

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LIVRE IV.

joutes fortes, roides et bien joutées ; et fut le souper des dames où il avoit été devant.

Le jeudi donna à dîner à tous chevaliers étrangers le roi en ce même hôtel, et la roine aux dames et aux damoiselles.

Le vendredi donna le dîner le duc de Lancastre à tous chevaliers étrangers et écuyers, et fut le dîner grand et bel.

Samedi le roi et les seigneurs se départirent de Londres et s’en allèrent à Windesore ; et furent priés de là aller le comte d’Ostrevant, le comte de Saint-Pol, et les chevaliers et écuyers de France qui étoient venus à la fête. Tous y allèrent ; ce fut raison. En le châtel de Windesore, qui est grand, bel et bien ordonné, et qui siéd sur la rivière de la Tamise à vingt milles de Londres, furent de rechef les fêtes grandes et puissantes de dîners et de soupers que le roi d’Angleterre fit et donna ; et par espécial il ne savoit pas comment il put excellentement bien honorer son cousin, le comte d’Ostrevant ; lequel comte fut là requis du roi et de ses oncles que il voulsist être de l’ordre des chevaliers du Bleu-Gertier, dont la chapelle de Saint George est au châtel de Windesore. Le comte d’Ostrevant, à la parole du roi et des barons d’Angleterre répondit et dit que il s’en conseilleroit. Il s’en conseilla à tels que au seigneur de Gommignies et à Fierabras de Vertaing, bâtard, lesquels ne lui eussent jamais conseillé à refuser l’ordonnance de l’ordre du Bleu-Gertier et de la compagnie Saint George. Si y entra et le prit. Dont les François qui là étoient présens se émerveillèrent grandement ; et murmuroient entre eux, et tenoient leurs paroles et disoient : « Le comte d’Ostrevant montre bien qu’il a le courage plus anglois que françois, quand prend le gertier et la devise du roi Richard d’Angleterre. Il marchande bien être mal de l’hôtel du roi de France et de monseigneur de Bourgogne, laquelle fille il a ; un temps viendra que fort s’en repentira. Tout considéré il ne sait qu’il a fait, car il étoit si bien du roi de France, du duc de Touraine, son frère, et des royaux, que, quand il venoit à Paris ou ailleurs devers eux, ils lui montroient et faisoient plus d’amour et de beau semblant que à nul de leurs cousins. »

Ainsi et en divers propos langageoient les François, et accusoient de mal et de contraire le jeune comte d’Ostrevant, là où il n’avoit nulle coulpe. Car ce que fait en avoit il ne le fit pour gréver ni contrarier le royaume de France ni ses cousins de France en rien ; il n’y avoit pensé fors que pour honneur et amour de complaire à ses cousins d’Angleterre, et que pour être au besoin plus bon moyen entre France et Angleterre ; ni à ce jour qu’il fit serment au prendre le bleu gertier, toutes gens doivent savoir si ils le veulent entendre, que oncques n’y eut parole ni alliance qui pût porter préjudice au royaume de France, fors amour et compagnie ; mais on ne peut défendre à parler les envieux.

Quand on eut dansé, joué et carolé assez au chastel de Windesore, et le roi d’Angleterre eut donné de beaux dons aux chevaliers et écuyers d’honneur du royaume de France, et par espécial au jeune comte d’Ostrevant, on prit congé au roi, à la roine, aux dames et damoiselles, et aux frères et oncles du roi, et puis se fit le département. Le comte de Saint-Pol et tous les François, aussi les Hainuiers et Allemands, se départirent. Ainsi se partit celle grand’fête qui fut en la cité de Londres, et retourna chacun en son lieu.

Or advint, ainsi que nouvelles queurent et volent partout, que le roi de France, son frère et ses oncles furent informés par ceux qui en Angleterre de leur côté avoient été, de tout ce que advenu y avoit, dit et fait ; et rien n’y eut oublié, mais mis et ajouté de nouvel assez pour encraisser la besogne, et exaulser avant le mal que le bien ; comment Guillaume de Hainaut, qui comte d’Ostrevant s’escripsoit, avoit été en Angleterre et rendu peine grandement à honorer les Anglois et aider à faire leur fête ; et avoit eu le prix et l’honneur des joutes dessus tous les chevaliers étrangers ; mais il en avoit trop grandement bien payé les Anglois, car il étoit homme devenu au roi d’Angleterre ; et avoit fait serment et alliance à lui et pris l’ordre du Bleu-Gertier en la chapelle du chastel de Windesore, en la compagnie et confrérie des chevaliers de Saint George, laquelle le roi Édouard d’Angleterre, et son fils le prince de Galles avoient mise sus ; et ne pouvoit nul entrer en la compagnie ni faire serment qui jamais se pût armer contre la couronne d’Angleterre ; et le serment avoit fait le comte d’Ostrevant sans nulle réservation. De ces nouvelles furent le roi, son frère et ses oncles, tous troublés et fort courroucés sus le