Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
[1390]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

premièrement, soixante coursiers ordonnés et parés pour la joute, et sur chacun coursier un écuyer d’honneur ; et chevauchoient tout le pas ; et puis issirent soixante dames d’honneur[1] ; montées sur palefrois, chevauchantes toutes d’un lez, si richement ornées que rien n’y failloit ; et menoit chacune dame son chevalier à une chaîne d’argent, lesquels chevaliers étoient armés et ordonnés pour la joute ; et ainsi s’en vinrent tout au long de Londres, à grand’foison de trompes et de tous ménestrels, jusques en la place de Semetefille. La roine d’Angleterre, et ses dames et damoiselles pour son corps, étoit et étoient en chambres ornées et parées très richement pour voir la fête, et là étoit le roi de-lez la roine.

Quand les dames, qui les chevaliers menoient, furent venues en la place, leurs gens étoient tous pourvus, qui les mirent jus de leurs palefrois et les montèrent en hours et en chambres qui parés et ordonnés étoient pour elles ; et les chevaliers demeurèrent sur la place. Si descendirent les écuyers, qui les coursiers sur lesquels on devoit jouter menoient, et montèrent les chevaliers ordonnément. Si leur furent mis les heaumes et appareillés de tous points. Là vint le comte de Saint-Pol très bien accompagné de chevaliers et d’écuyers, et tous armés en harnois de joute, pour commencer la fête, laquelle se commença ; et joutèrent tous chevaliers étrangers qui jouter voulsirent, ou qui le loisir et espace en eurent, car la vespre vint tantôt. Si furent celles joutes, que on dit du Calenge, fortes et belles et bien joutées, et continuées jusques au soir ; et se retrairent tous seigneurs et dames là où retraire se devoient : et étoit la roine logée en la place de Saint-Pol, à l’hôtel de l’évêque de Londres ; et là fut fait le souper. Ce soir vint le comte d’Ostrevant. Si fut du roi et des seigneurs joyeusement et bien grandement recueilli. De celles joutes eut le prix pour ce dimanche, de ceux de dehors le comte Waleran de Saint-Pol, et de ceux de dedans le comte de Hostidonne. Si furent les danses à l’hôtel de la roine, présent le roi, ses frères et ses oncles, et les barons d’Angleterre, les dames et les damoiselîes, grandes, belles et bien dansées, menées et persévérées en tous ébattemens jusques au jour, que tous et toutes, qui au souper et aux danses avoient été, se retrairent à leurs hôtels, excepté le roi et la roine. Cils demeurèrent à l’hôtel l’évêque, car ils y logèrent.

Quand ce vint à lendemain lundi, vous vissiez en moult de lieux et de places parmi la cité de Londres écuyers et varlets, soigneux d’entendre à mettre à point les harnois de leurs seigneurs et maîtres. Après nonne s’en vint le roi d’Angleterre sur la place, armé et bien accompagné de ducs, de comtes et de seigneurs, car il étoit de ceux de dedans. La roine d’Angleterre, bien accompagnée de dames et de damoiselles, s’en vint en la place où les joutes se tenoient ; et montèrent sur les chambres et sur les hours qui ordonnés et appareillés pour elles étoient. Après vinrent le comte de Saint-Pol et les chevaliers de France qui jouter vouloient. Lors commencèrent les joutes grandes et belles ; et fit chacun son pouvoir de soi bien acquitter ; et en eut plusieurs rués jus de leurs chevaux et désheaumés ; et durèrent et se continuèrent ces joutes fortes et roides jusques à la nuit qu’on se retrait aux hôtels, chacun seigneur là où il étoit logé, et les dames aussi ; et quand heure fut de retraire là où le souper étoit ordonné, on s’y trait. Si fut le souper grand, bel et bien ordonné. Et pour ce jour eut le prix des joutes des mieux faisans de dehors, le comte d’Ostrevant ; et bien le desservit, car outre mesure il avoit très bien jouté, au jugement des dames, des seigneurs et des hérauts à ce ordonnés pour le juger et donner ; et de ceux de dedans en eut le prix un gentil homme d’Angleterre qui s’appeloit messire Hue le Despensier.

À lendemain mardi furent les joutes en la place dessus nommée après nonne des écuyers ; et furent en la présence du roi et des dames très bien joutées et continuées ; et durèrent jusques à la nuit que on se retrait aux hôtels, ainsi que on avoit fait le lundi devant ; et puis au souper on s’en revint à l’hôtel de l’évêque de Londres, là où le roi, la roine et les dames étoient. Si fut le souper bel et grand et bien dansé, et continué toute la nuit jusques au jour que cils et celles qui départir se devoient se départirent et s’en retournèrent à leurs hôtels.

Le mercredi, après dîner, en la place dessus dite joutèrent tous ensemble, chevaliers et écuyers, qui jouter et voulsirent et purent ; et furent les

  1. Hollinshed dit vingt-quatre.