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LIVRE IV.

moyen devers le roi. Donc répondirent ceux qui parloient et devisoient au roi pour lors, et dirent : « Sire, vous ne pouvez à conscience bonnement faire ce voyage, si l’Église n’est à un. Commencez au chef, si aura votre emprise bonne conclusion. » — « Où voulez-vous que je commence ? » dit le roi. « Sire, répondirent-ils, pour le présent vous n’êtes de rien chargé ; vous êtes à trèves aux Anglois pour un grand temps. Si pouvez faire, si vous voulez, la trève durant, un beau voyage, et nous ne véons plus bel ni plus raisonnable pour vous que vous alliez vers Rome, à puissance de gens d’armes, et détruisiez cel antipape Boniface, que les Romains ont de force et par erreur créé et mis au siége cathédral Saint Pierre. Si vous voulez, vous accomplirez trop bien tout ce fait ; et mieux vous ne pouvez employer ni plus honorablement votre saison. Et espoir, si cel antipape et ses cardinaux savent que vous veuilliez aller sur eux à main armée, ils se mettront et rendront tous à merci. »

Le roi pensa sur celle parole et dit que il y entendroit, car voirement, tout considéré, il se tenoit grandement tenu au pape Clément, car l’année passée il avoit été en Avignon, où le pape et les cardinaux très excellentement l’avoient honoré et donné plus que il n’eût demandé à lui, à son frère et à ses oncles. Si s’ensuivoit bien qu’il en remerist le guerdon. Et aussi, au département d’Avignon, il avoit dit et promis au pape que il pourverroit à ses besognes, et entendroit tellement que on s’en apercevroit ; car il s’y sentoit tenu et vouloit être.

Pour ces jours étoient à Paris les ducs de Berry et de Bourgogne. Si fut proposé et généralement dit et accordé que, tantôt à ce mars qui approchoit, le roi de France se départiroit de Paris et se mettroit au chemin pour aller vers Savoie et Lombardie, et envoieroit le comte de Savoie, son cousin germain, avecques lui ; et devoit avoir le roi de sa charge, son frère le duc de Touraine, et quatre mille lances, le duc de Berry deux mille lances, le duc de Bourgogne deux mille lances, le connétable de France deux mille lances de Bretons et de Xaintongiers et des basses marches, le duc de Bourbon mille lances, le sire de Saint-Pol et le seigneur de Coucy mille lances ; et devoient ces gens d’armes être payés et délivrés pour trois mois, et ainsi de terme en terme.

Quand les nouvelles en furent venues et sçues en Avignon au pape et aux cardinaux, si furent très grandement réjouis ; et leur fut bien avis que la besogne étoit jà ainsi comme achevée. Encore étoit proposé au conseil du roi et avisé pour le meilleur, pour ce que on ne vouloit pas le duc de Bretagne laisser derrière, que le roi le manderoit et le prieroit qu’il s’ordonnât pour aller en ce voyage avecques lui. Le roi lui manda et escripsit notablement, et lui envoya ses lettres par un sien huissier d’armes, homme d’honneur ; et lui signifioit par le contenu des lettres tout l’état et ordonnance du dit voyage.

Quand le duc de Bretagne eut lu les lettres que le roi lui envoyoit, il se tourna d’autre part et commença à rire, et appela le seigneur de Montbourchier qui étoit en sa présence, et lui dit : « Regardez et entendez que monseigneur m’écrit. Il a empris de partir à ce mars et d’aller vers Rome et détruire par puissance de gens d’armes le pape Boniface et les cardinaux. Si m’aist Dieu et les Saints, il n’en fera rien ; il aura en bref temps autres étoupes en sa quenouille : de ce que fol pense assez remaint. Et me prie que je lui veuille tenir compagnie à deux mille lances en ce voyage ; je le veuil bien de tant honorer et dois ; et lui escriprai joyeusement, afin que mieux se contente, que si il va au voyage dont il m’a écrit, il n’ira pas sans moi, puisque il veut que je lui tienne compagnie ; mais je vous dis, seigneur de Montbourchier, que je n’en travaillerai jà homme des miens ; car de tout ce qu’ils ont proposé et dit il n’en sera rien fait. »

Le duc de Bretagne rescripsit unes lettres moult belles et douces au roi de France ; et les apporta le huissier d’armes qui les autres avoit apportées, et retourna devers le roi et le trouva à Paris. Le roi les ouvrit et legit et se contenta assez sur celles et de la réponse du duc.

CHAPITRE XVIII.

Des chevaliers anglois qui furent envoyés à Paris devers le roi de France de par le roi d’Angleterre et ses oncles sur forme de paix.


À l’apparent que on véoit le propos que le roi de France avoit se tenoit-on, ni nul ne le brisoit ni contredisoit, mais plaisoit grandement bien à tous chevaliers et écuyers du royaume de France,