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LIVRE IV.

vint en Béarn et droit à Ortais. Ceux de la ville lui firent assez bonne chère, mais encore ne le recueillirent-ils point à seigneur ; et dirent que ils n’étoient pas tout le pays, et qu’il convenoit les nobles, les prélats et les hommes des bonnes villes mettre ensemble et avoir conseil comment tout ce se pourroit faire, car Béarn est une terre qui se tient de soi-même, noble et franche, et les seigneurs qui y demeurent et y ont leur héritage ne consentiroient jamais que le souverain le relevât de nullui.

Si fut avisé pour le meilleur que on feroit l’obsèque du bon comte Gaston de Foix à Ortais ; et seroient mandés tous les nobles et les prélats de Béarn, et ceux de la comté de Foix qui venir y voudroient, et là auroit-on conseil général comment on se cheviroit à la recueillette du seigneur. Si furent escripts et mandés à venir à Ortais à l’obsèque du comte tous les barons, les prélats et les chefs des bonnes villes de Béarn, et ceux de la comté de Foix aussi. Ceux de Béarn obéirent et y vinrent tous, mais ceux de la comté de Foix refusèrent et se excusèrent, disant que ils garderoient leur pays et leur terre, car ils avoient entendu que le roi de France envoyoit vers eux et qu’il vouloit de fait chalenger l’héritage de Foix, et tant que déclaration en seroit faite. Néanmoins l’évêque de Pamiers par lignage en fut requis et prié de là aller à Ortais. Et y alla en bon arroi et suffisant, ainsi comme à lui appartenoit.

Au jour de l’obsèque du gentil comte Gaston de Foix, derrain de ce nom, qui fut fait en la ville d’Ortais, en l’église des Cordeliers, en l’an de grâce Notre Seigneur, mil trois cent quatre vingt et onze, le douzième jour du mois d’octobre, par un lundi, eut moult de peuple du pays de Béarn et d’ailleurs, prélats barons, chevaliers ; et y eut trois évêques ; premier celui de Pamiers, et cil dit la messe et fit le service ; et puis l’évêque d’Aire, et l’évêque d’Auron des tenures de Béarn. Moult y eut grand luminaire et bien ordonné. Et tenoient devant l’autel, et tinrent durant la messe, quatre chevaliers, quatre bannières armoyées de Foix et de Béarn. La première tenoit messire Remond de Chastel-Neuf ; la seconde messire Espaing de Lion ; la tierce messire Pierre de Quer ; la quatrième messire Menault de Navailles. L’épée offrit messire Roger d’Espaigne, à dextre du Bourg de Copane et de Pierre Arnault de Béarn, capitaine de Lourde. L’écu portoit le vicomte de Bruniquel, à dextre de Jean de Chastel-Neuf et de Jean de Cantiron. Le heaume offrit le sire de Valencin et de Béarn, adextré de Ernauton de Rostem et de Ernauton de Sainte-Colombe. Le cheval offrit le sire de Corasse, adextré de Ernauton d’Espaigne et de Ramonnet de Copane.

Tout l’obsèque fut persévéré honorablement et grandement, selon l’usage du lieu. Et là furent les deux fils bâtards au comte de Foix, messire Yvain et messire Gratien, le vicomte de Castelbon, et tous les chevaliers et barons de Béarn, et de Foix aucuns. Mais ceux de Foix, le service fait, se départirent et montèrent à cheval, et vinrent dîner à Hereciel, deux lieues en sus d’Ortais.

À lendemain bien matin l’évêque de Pamiers se départit aussi, et ne voulut point être au général parlement qui se fit en ce jour des prélats, des barons et chevaliers, et des consuls des bonnes villes de Béarn. Et fut le jour de l’obsèque, après là messe dite, le comte de Foix ôté du chercus de plomb et enveloppé le corps en belle touaille neuve cirée, et ensepveli en l’église des Cordeliers devant le grand autel du chœur. De lui n’y a plus. Dieu lui fasse pardon !

Or vous parlerai de l’ordonnance du conseil qui fut à Orthez. Il m’est avis, si comme adonc je fus informé, que on dit au vicomte de Castelbon ainsi : « Sire, nous savons bien que par proismeté vous devez successer et tenir tous les héritages tant en Béarn comme en Foix, qui viennent de par monseigneur, cui Dieu pardoint ! mais nous ne vous pouvons pas à présent recevoir ainsi, car trop nous pourrions forfaire et mettre celle terre de Béarn en grand’guerre et danger ; car nous entendons que le roi de France, qui est notre bon voisin et qui moult peut, envoie par deçà de son conseil, et ne savons encore, jusques à tant que nous les aurons ouï parler, sur quel état cette légation se fait. Bien savons, et vous le savez aussi, que monseigneur, cui Dieu pardoint ! fut anten à Toulouse devers le roi de France, et eurent parlemens secrets ensemble, dont il faut que aucune chose prochainement s’en éclaircisse. Car, si il avoit donné ni scellé au roi de France Foix et Béarn, le roi de puissance les voudroit avoir et obtenir combien que nous voudrons bien sa-