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LIVRE IV.

leurs traités et parlemens ne seroient pas si tôt accomplis.

Or vinrent le roi de France, le duc de Touraine son frère, le duc de Berry, le duc de Bourgogne, Jean de Bourgogne son fils, le duc de Bourbon, le sire de Coucy, le comte de la Marche, le comte de Saint-Pol, et tous les consaulx de France à Tours en Touraine et s’y logèrent. Aussi y vinrent d’un lez le connétable de France et Jean de Bretagne son beau fils, et leurs consaulx, car bien y avoient à faire. Le duc de Bretagne vint après eux bien quinze jours ; et disoient les aucuns, quoiqu’il les eût là fait venir, que point il n’y viendroit, car il s’envoya excuser par trois fois ; et disoit qu’il étoit malade et qu’il ne pouvoit chevaucher. Finablement il y vint. Si étoient ses pourvéances toutes faites pour lui et pour ses gens ; et furent logés tous à leur aise. Si commencèrent les parlemens à entrer, et à aller les moyens des parties de l’un à l’autre ; les jours étoient courts, si comme ils sont en hiver, si ne pouvoit-on longuement parlementer devant dîner ni après dîner jusques au soir.

Ces parlemens et ces traités étant à Tours, sur la forme et manière que je vous dis, entre le roi de France et le duc de Bretagne, qui durèrent moult avant en l’hiver, vinrent de Toulouse et des parties de Foix et de Béarn messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, et arrivèrent à Tours un mercredi. La cité étoit si remplie de seigneurs et de toutes gens que à grand’peine purent-ils être logés. Toutefois ils le furent ; et allèrent devers le roi et les seigneurs, et remontra messire Roger d’Espaigne au roi et à son conseil, aussi à tous les autres seigneurs et à leurs consaulx, sagement et bellement, ce pourquoi il étoit là venu et à grand loisir. Et de ce fut-il bien aisé, car le roi et les seigneurs étoient si chargés pour le fait de Bretagne qui moult leur touchoit, que à peine pouvoient-ils entendre à autre chose fors à cette. Néanmoins messire Roger fut volontiers ouï ; mais il ne fut pas si briévement répondu. Avant séjourna plus de deux mois, et lui disoit-on toujours : « Nous nous conseillerons. » Et ce conseil ne venoit point.

Encore y eut un autre empêchement, le roi là étant à Tours, et qui moult chargea le conseil, car ils y vinrent de par le roi d’Angleterre, messire Jean dit Clanvou, chevalier et chambellan du roi ; et Richard Rohalle, clerc en lois et en droit du conseil du roi d’Angleterre, parler au roi de France et à son conseil, sur l’état dont je vous ai parlé autrefois, et ce pourquoi mes seigneurs Thomas de Percy et le sire de Cliffort furent et avoient été en devant à Paris. Quand les Anglois furent venus, on cloyt tous traités et consaulx, et entendit-on à eux et à leur délivrance. Il me fut dit que ils apportoient lettres de créance au roi, et aux ducs de Berry et de Bourgogne. On les ouït parler. La créance étoit telle, que le roi d’Angleterre et ses oncles vouloient savoir si le roi de France et ses consaulx étoient en volonté de tenir le parlement à Amiens, ainsi que proposé étoit, sur forme de paix entre les deux rois, leurs conjoints et leurs adhers. Le roi de France, qui ne désiroit autre chose à ce qu’il montroit que de venir à paix, répondit : « Oil, » et lui délivré du duc de Bretagne et parti de Tours, il n’entendroit jamais à autre chose, qu’il seroit venu à Amiens, si comme ordonné étoit, et là attendroit les traiteurs d’Angleterre, et leur feroit faire la meilleure chère qu’on pourroit.

De tout ce se contentèrent grandement les Anglois ; et furent cinq jours à Tours en Touraine, le plus de-lez le roi, les seigneurs et le chancelier de France. Quand ils eurent fait ce pourquoi ils étoient venus, ils prirent congé au roi et aux seigneurs. Le roi leur fit donner de ses largesses, dont ils le remercièrent grandement ; et furent délivrés aux hôtels de par le roi, et puis se départirent. Et sachez pour lors que ils ne virent point le duc de Bretagne ni ne parlèrent à lui, car point ne vouloient que les François y eussent nulle suspection de mal. Et retournèrent parmi France et Picardie à Calais, et là montèrent en la mer. Et arrivèrent à Douvres et puis vinrent à Londres ; et trouvèrent le roi et les seigneurs du conseil à Westmoustier, auxquels ils firent réponse de tout ce que ils avoient vu et trouvé, voire qui appartenoit à dire. La réponse et la relation qu’ils firent plut bien au roi d’Angleterre et à son conseil, et s’ordonnèrent sur ce pour venir à Amiens. Or vous conterons-nous des légaulx de Béarn et de Foix.

Vous devez savoir que messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, qui en légation étoient venus en France de par le