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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/143

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LIVRE IV.

sement justicié à Béziers ; mais souffrir lui convenoit, car il n’étoit pas encore heure du contrevenger.

En celle différence demeurèrent-ils plus de trois mois, toujours séjournant à Tours ; et ne pouvoient leurs traités venir à bonne conclusion. Et furent sur le point de départir sans rien faire. Et étoit le roi de France en grand’volonté, eux partis de là et retournés en France, de faire un grand mandement, et sur l’été qui venoit aller en Bretagne et faire guerre au duc et à ceux qui de son accord seroient, et laisser en paix les autres. Mais les ducs de Berry et de Bourgogne, le sire de Coucy, le comte de Saint-Pol, messire Guy de la Trémoille, le chancelier de France, et plusieurs prélats et hauts barons de France qui là étoient, et qui le fait imaginoient, pour obvier à ces rébellions rigoureuses, en parloient à la fois ensemble, et disoient : « Le roi, et nous qui sommes les souverains de son royaume, et si prochains de lignage, devons avoir traité et parlement sur forme de paix à ce carême en la cité d’Amiens contre les Anglois. Si nous faut hâter de rompre ce maltalent ci, qui est à présent entre le roi et le duc de Bretagne ; car qui se départiroit de ci sans accord, les Anglois en leurs traités en seroient plus forts, car ils tendroient à être confortés et aidés du duc de Bretagne et de son pays, car le duc a les Anglois assez à main quand il veut. Et si nous avions guerre aux Anglois et au duc de Bretagne, quoique autrefois l’avons-nous eu, ce nous seroit trop grand’peine. »

Tant regardèrent ces seigneurs et subtilèrent, et leurs consaulx, que on trouva un moyen entre le roi de France et le duc de Bretagne : je vous dirai quel il fut. Et certainement sans ce moyen on ne fût point venu à conclusion d’accord. Ce fut que le roi de France avoit une fille et le duc un fils. On fit un mariage de ce fils à celle fille. Pareillement Jean de Bretagne avoit un fils de la fille de messire Olivier de Cliçon, et le duc de Bretagne avoit une fille ; si fut regardé, pour toutes paix, que le mariage seroit bel et bien pris de ce fils à celle fille. Ainsi se firent ces mariages entre ces parties ; mais nonobstant toutes ces choses et ces alliances, il convint Jean de Bretagne mettre jus ses armes de Bretagne et prendre celles de Chastillon. Et si aucune chose vouloit porter de Bretagne, pour tant qu’il étoit d’extraction de par sa mère, qui fille avoit été de un duc de Bretagne, sur les armes de Chastillon il pouvoit prendre une bordure d’hermine, ou trois lambeaux d’hermine, ou un écusson d’hermine au chef de gueules, et non plus avant.

Ainsi se portèrent ces parçons, les devises et les ordonnances. Et se apaisèrent ces parties ; et demeura le duc de Bretagne en l’amour du roi de France et de ses oncles, et dîna de-lez le roi ; et là fut Jean de Bretagne comte de Paintièvre ; et se montrèrent grand semblant d’amour par le moyen et alliance de ce mariage ; mais oncques il ne voult voir messire Olivier de Cliçon, tant l’avoit-il en grand’haine. Aussi messire Olivier n’en fit compte, car il le héoit de toute sa puissance.

Ces mariages concordés et alliés, et les seigneurs jurés et obligés pour procéder avant au temps à venir, quand les enfans auroient encore un peu plus d’âge, de tout ce furent lettres levées et tabellionnées. Les seigneurs eurent avis que ils se départiroient de Tours, et que trop y avoient séjourné, et se retrairent vers Paris ; car terme approchoit qu’ils devoient aller et être à Amiens, la cité des parlemens, le roi de France personnellement, son frère, ses oncles et leurs consaulx, à l’encontre du roi d’Angleterre, de ses frères et de leurs consaulx, qui aussi y devoient être. Si prit le duc de Bretagne congé au roi, à son frère et à leurs oncles, et à ceux où il avoit le mieux sa grâce ; et se départit de Tours, et retourna arrière en son pays. Aussi firent tous les autres seigneurs. Le duc de Berry et le duc de Bourgogne, et le sire de Coucy demeurèrent derrière ; je vous dirai par quelle raison.

CHAPITRE XXV.

Comment le comte de Blois et Marie de Namur sa femme vendirent la comté de Blois et toutes leurs terres au duc de Touraine frère au roi de France.


Vous avez bien ici dessus ouï parler et recorder en notre histoire comment Louis de Blois, fils au comte Guy de Blois, étoit mort jeune enfant en la ville de Beaumont en Hainaut ; dont madame Marie de Berry, fille au duc de Berry, demeura veuve ; et à cela perdit-elle, tant que des biens de ce monde, grand’foison ; car l’enfant étoit un grand héritier, et eut au temps à venir été un grand seigneur. Je vous en traite et parle, pourtant que au temps à venir je vueil que on sache à qui les héritages, qui à autrui furent,