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LIVRE IV.

vière à Toulouse et là en la marche, et point partir ne s’en vouloient jusques à tant que toutes les choses seroient en bon état et fussent mises au profit et honneur du royaume de France et de eux, car de ce faire ils étoient chargés.

Or parlerons de l’assemblée des seigneurs de France et d’Angleterre, qui se fit en la bonne cité d’Amiens sur forme de paix et de trèves ; en celle saison que on compta pour lors en l’an de grâce Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et onze, au mi-carême. Vous devez savoir que les pourvéances y furent faites grandes et grosses, avant que les seigneurs y vinssent, pour le roi premièrement, pour son état et pour ses trois oncles, et aussi pour aucuns hauts barons de France et prélats qui ordonnés y étoient à être. Moult y étoît l’apparant grand, et s’efforçoient tous seigneurs de là être ; car commune renommée couroit que le roi Richard d’Angleterre en personne y seroit. Si le désiroient à voir ceux qui point ne l’avoient vu, mais il n’y fut point. Si vint-il jusques à Douvres, sur l’entente de passer la mer, et ses trois oncles avecques lui, le duc de Lancastre, le duc d’Yorch et le duc de Glocestre. Quand ils furent là venus, ils eurent plusieurs imaginations à savoir si il seroit bon que le roi passât la mer. Tout regardé et considéré, le conseil d’Angleterre se tourna à ce que le roi demeureroit à Douvres au chastel avec le duc de Glocestre qui demeureroit de-lez lui. Si s’ordonnèrent au passer le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, le comte de Hostidonne, le comte Derby, messire Thomas de Percy, l’évêque de Durem, l’évêque de Londres et tous ceux du conseil ; et ne passèrent pas tous en un jour, mais les pourvéances devant ; et puis passèrent les seigneurs, et vinrent en la ville de Calais, et là se logèrent.

Quand le jour approcha que on dut être ensemble à Amiens en parlement, les dessus dits seigneurs et leurs gens se départirent de la ville de Calais ; et étoient plus de douze cens chevaux, qui étoit belle chose à voir ; et chevauchèrent ordonnément et en bon arroi.

Or étoit ordonné, de par le roi de France et son conseil, que les Anglois partis de Calais et venans leur chemin à Amiens et retournans d’Amiens à Calais, et eux étant à Amiens le parlement durant, ils seroient délivrés et défrettés de toutes choses. C’est à entendre des frais de bouche et de leurs chevaux.

En la compagnie du duc de Lancastre et du duc d’Yorch venoit leur cousine, fille de leur sœur et du seigneur de Coucy, une jeune dame qui s’appeloit madame d’Irlande, car elle avoit épousé le duc d’Irlande, ainsi que vous savez. Cette jeune dame venoit voir son père le seigneur de Coucy à Amiens, car je suppose que, en devant ce, elle l’avoit petit vu ; si avoit très ardent désir de le voir, et c’étoit raison ; et venoit en bon arroi, ainsi comme une dame veuve, qui petit de joie avoit eu en son mariage.

Ordonné étoit, de par le roi de France et son conseil, que les ducs et les seigneurs, lesquels étoient issus hors d’Angleterre et venus à Calais pour venir à Amiens, en instance de tenir le siége et ordonnance de parlement et traité de paix, seroient honorés si étoffément comme on pourroit, et que les quatre ducs de France, qui jà à Amiens étoient venus, c’est à savoir le duc de Touraine, frère du roi, le duc de Berry, le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon, istroient tous hors sur les champs, en recueillant et conjouissant et en honorant les seigneurs d’Angleterre qui au parlement venoient. Et advint que, pour accomplir l’ordonnance faite, à l’heure que les deux ducs d’Angleterre frères approchoient la cité d’Amiens, les quatre ducs dessus nommés et tous les hauts barons de France qui là étoient issirent hors de la cité d’Amiens en grand arroi ; et tout premièrement sur les champs le jeune duc Louis de Touraine chevauchoit en grand arroi et le premier encontre des ducs d’Angleterre ses cousins. Et se recueillirent entre eux très honorablement, ainsi que seigneurs pourvus et nourris en ce le savent bien faire. Quand ils orent un petit parlé ensemble et conjoui l’un l’autre, le duc de Touraine prit congé à eux et s’en retourna arrière, et sa route, laquelle étoit belle et grande ; et rentra dedans la cité d’Amiens, et s’en alla au palais de l’évêque où le roi étoit, et là descendit et se tint en la chambre du roi avecques lui ; et les autres trois ducs ses oncles, Berry, Bourgogne ef Bourbon, chevauchèrent depuis le département du duc de Touraine, chacun en son arroi, et encontrèrent sur les champs ces ducs d’Angleterre. Si les recueillirent de chère et de parole grandement et honorablement ; et là