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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/146

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

faire le sçurent et purent ; car il n’avoit là nully de son conseil fors Sohier, qui oncques ne fut à l’école ni ne connut lettres ; et jà étoit-il aussi tout tourné pour eux. Ainsi ou près se portèrent ces marchandises, et je les ai écrites au plus justement que j’ai pu, afin que au temps à venir, par la mémoire de mon écriture, la vérité en soit sçue ; car le comte Guy de Blois, mon seigneur et mon maître, comme jeune, ignorant et mal conseillé le plus par sa femme et ce varlet de chambre Sohier, fit ce povre marché ; et quand les choses de ces vendages et achats furent tous bien et sûrement mis à l’entente du roi et du duc de Touraine son frère, et de leurs consaulx, les seigneurs prirent congé et s’en retournèrent en France. Si fut grand’nouvelle de celle vente en plusieurs pays.

CHAPITRE XXVI.

De l’exploit que messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion avoient fait devers le roi et son conseil pour le vicomte de Castelbon, et comment il l’eut et fut remis en la comté de Foix et de Béarn et de l’argent qu’il en paya.


Nous parlerons un petit de messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, et conterons comment ils exploitèrent, depuis que ils se furent départis de la cité de Tours, en instance de retourner en Foix et en Béarn, devers l’évêque de Noyon et le seigneur de la Rivière qui les attendoient à Toulouse. Tant exploitèrent-ils par leurs journées que ils vinrent en la cité de Toulouse. On fut moult joyeux de leur revenue, car on l’avoit moult désirée. Premièrement ils se trairent devers les dessus nommés, et leur montrèrent et baillèrent toutes les lettres et procès qui venoient de France et qui mention faisoient de ce qu’ils avoient labouré et exploité. Par semblant l’évêque de Noyon et le sire de la Rivière en firent grand’chère et furent moult joyeux de ce que l’héritage de Foix et des appendences demeuroit au vicomte de Chastelbon, en la forme et manière que le bon comte Gaston de Foix avoit tenu, sur les conditions qui mises et escriptes y étoient. Or fut avisé que messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, qui de cette légation étoient venus, pour remontrer à leur partie comment ils avoient en ce voyage exploité, prendroient de rechef la peine et le travail, puisque tant en avoient-ils eu, et s’en iroient devers le vicomte de Chastelbon et les consaulx de Foix et de Béarn, et feroient tant que les choses seroient bien conduites ; et aussi tout ce appartenoit à faire. Si comme il fut proposé et ordonné ils firent.

Quand ils se furent en la cité de Toulouse rafraîchis deux jours, ils se départirent et prirent le chemin de Saint-Gausens. Le vicomte n’étoit point là quand ils vinrent, mais étoit à l’entrée de Béarn, en un moult bel châtel que on appelle Pau. Et là le trouvèrent. Il fut moult réjoui de leur venue, car moult les avoit désirés ; et quand il sçut la vérité que le roi de France se vouloit déporter du vendage qui devoit avoir été fait pour la comté de Foix, encore fut-il plus réjoui que devant, car pour payer et rendre prestement les deniers, on les savoit bien ou prendre ; et encore assez de demeurant.

CHAPITRE XXVII.

De la grand’assemblée qui se tint a Amiens du roi de France, de ses oncles et de son conseil, et des oncles et conseil du roi Richard d’Angleterre sur forme de paix.


Il m’est avis, et aussi pourroit-il sembler à aucuns, que des besognes de Foix et de Béarn j’ai pour le présent assez parlé et traité ; si m’en voudrai départir et rentrer en autre procès. Car de démener au long la matière, il y faudroit trop de paroles et d’escripture, et je me sais bien de quoi autre chose ensonnier. Tout conclu, le vicomte de Chastelbon demeura comte de Foix et sire de Béarn, en la forme et manière que le comte Gaston de Foix de bonne mémoire l’avoit tenu ; et lui firent foi et hommage tous ceux qui faire lui durent[1]. Et départit ses cousins les bâtards de Foix, messire Yvain et messire Gratien, bien et largement des héritages et des meubles, tant qu’ils s’en contentèrent[2] ; et rendit au roi de France, c’est à entendre à ses commis, tout l’argent entièrement dont la comté de Foix étoit chargée. Ces besognes ne furent pas sitôt achevées ; et demeurèrent jusques en l’été bien avant l’évêque de Noyon et le sire de la Ri-

  1. Mathieu de Castelbon ne fut reconnu comme souverain de Béarn, par les états assemblés à Orthez, que le 5 juillet 1393. Il avait épousé, à son retour de l’expédition de Barbarie avec les Génois, la fille unique de D. Juan, roi d’Arragon.
  2. Gratien fut marié a Isabelle de la Cerda, née du roi de Castille, et seule héritière du duché de Médina Céli. Il se fixa en Espagne, et ses descendans y existent encore.