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LIVRE IV.

d’une cloche se devoient autres gens avancer pour remédier au feu. Item étoit ordonné que nul chevalier ni écuyer, pour quelconque besogne qu’il eût, ne se devoit ni pouvoit avancer pour parler au roi, si le roi même ne l’appeloit. Item fut ordonné que nul chevalier ni écuyer de France ne pouvoit parler ni deviser ensemble, tant que chevaliers et écuyers d’Angleterre seroient en place, et sur eux ils adressassent ou tournassent leur parole. Item fut ordonné, sur amende très grande, que nul hôtelain en son hôtel ni autre ne forcellât ni mît hors de voie, par manière de convoitise, arcs ni sagettes qui fussent aux Anglois ; mais si les Anglois, par courtoise, leur vouloient donner, ils les pouvoient bien prendre.

Vous devez savoir que toutes ces choses et autres étoient promues, faites et ordonnées, pour bien et par grand’délibération de bon conseil, pour mieux garder et honorer les Anglois ; car sur grand’confidence de paix et d’amour ils étoient là venus. Et étoient ces ordonnances faites par si détroite condition que qui les eût enfreintes ni brisées par manière de mauvaiseté, sans nul déport ou excusation, il eût payé l’amende. Tous les jours petit s’en falloit. Par le terme de quinze jours étoient ces seigneurs de France et d’Angleterre en parlement ensemble et rien ne mettoient à conclusion ; car ils étoient en trop grand différend. Les François demandoient à avoir Calais abattue et renversée par terre, tellement que nul n’y habitât jamais ; les Anglois, étoient à ce moult contraires, car jamais n’eussent passé ce traité ; car vous devez croire et savoir que Calais est la ville au monde que la communauté d’Angleterre aime le mieux ; car, tant comme ils seront seigneurs de Calais, ils disent ainsi qu’ils portent les clefs du royaume de France à leur ceinture. Et quel différend que les seigneurs François ou Anglois eussent ensemble de leurs offres, et de leurs requêtes et demandes, et comme longuement que ils y missent, si se départoient-ils toujours, les parlemens finés, moult amiablement ensemble ; et disoient les deux chevaliers, cils de France et cils d’Angleterre : « Vous retournerez demain sur cel état et procès, et espoir, parmi la peine et diligence que nous y mettrons et rendrons, auront nos besognes bonne conclusion. »

Et donna le roi de France à dîner par trois fois moult notablement au palais à Amiens aux seigneurs d’Angleterre ; et aussi firent le duc de Touraine, le duc de Berry, le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon. Le sire de Coucy et le comte de Saint-Pol, chacun par lui, donnèrent à dîner une fois à tous les chevaliers d’Angleterre qui au parlement étoient venus. Et quant que les Anglois prenoient, tant que de vivres, tout étoit payé et délivré ; et étoient clercs ordonnés, de par le roi et son conseil, qui tout escripvoient ; et cils qui créoient étoient remis à la chambre des deniers.

Vous devez savoir que le duc Jean de Lancastre et son frère le duc d’Yorch, quoique ils fussent là venus, avoient leur charge du roi d’Angleterre et du conseil, tellement que pour nul traité proposé ni à proposer ils n’y pouvoient rien prendre ni mettre. Plusieurs gens ne voudroient point croire ce que je vous dirai. Il est ainsi que toute la communauté d’Angleterre s’incline toujours et est inclinée plus à la guerre que à la paix ; car du temps du bon roi Édouard de bonne mémoire et son fils le prince de Galles, ils eurent tant de belles et hautes victoires sur les François et tant de grands conquêts et rançons et de rachats de villes et de châteaux, que les povres en étoient devenus riches, et ceux qui n’étoient pas gentils hommes de nativité, par eux aventurer hardiment et vaillamment ès guerres, avoient tant conquêté que, par puissance d’or et d’argent, ils étoient anoblis ; et vouloient les autres qui venoient ensuivir cette vie, quoique depuis le temps du roi Édouard et de son fils, le prince de Galles, par le fait et emprise de messire Bertrand de Glayquin et de plusieurs autres bons chevaliers de France, si comme il est contenu en notre histoire ci derrière, les Anglois étoient moult reculés et reboutés.

Le duc de Glocestre mains-né fils du roi Édouard, s’inclinoit assez à l’opinion de la communauté d’Angleterre et d’aucuns princes, chevaliers et écuyers d’Angleterre qui désiroient la guerre pour soutenir leur état ; et pour ce étoient les différends et les traités de paix trop forts à faire et à trouver, quoique le roi le voulsist bien et le duc de Lancastre. Et par leur promotion, encore étoient ces journées de parlement de paix assignées et ordonnées en la cité d’Amiens ; mais au fort ils n’osassent courroucer la com-