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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/180

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lez lui à Cray, et moult soigneux en fut, et grandement bien s’en acquitta ; et honneur il y acquit et profit, car petit à petit il le remit en bon état. Premièrement il l’ôta de la fièvre et de la chaleur, et lui fit avoir goût et appétit de boire et de manger, et de dormir et de reposer, et lui fit avoir connoissance de toute chose ; mais trop étoit foible ; et petit à petit, pour le renouveler de air, il le fit chevaucher, et aller en gibier, et voler de l’épervier aux aloes[1].

Quand ces nouvelles furent sçues parmi France que le roi retournoit grandement en sens, santé et bonne mémoire, si en furent toutes manières de gens réjouis, et Dieu regracié et loué humblement et de bon cœur. Le roi, lui étant à Cray, demanda et voult voir sa femme la roine, et le dauphin son fils. La roine vint, et fut le fils apporté. Le roi leur fit grand’chère et les recueillit liement. Et ainsi petit à petit, par la grâce de Dieu, le roi retourna en bonne santé et état ; et quand maître Guillaume de Harselli vit qu’il étoit en bon point, si en fut tout joyeux ; ce fut raison, car il avoit fait une belle cure ; et le rendit à son frère le duc d’Orléans, et à ses oncles Berry, Bourgogne et Bourbon, et leur dit : « Dieu mercy, le roi est en bon état. Je le vous rends et livre. D’ores-en-avant on se garde de le courroucer et mérencolier, car encore n’est-il pas bien ferme de tous ses esprits ; mais petit à petit il s’affermira. Déduits, oubliances et déports par raison lui sont plus profitables que autres choses. Mais du moins que vous pouvez, si le chargez et travaillez de conseils, car encore a-t-il, et aura toute celle saison le chef foible et tendre, car il a été battu et formené de très dure maladie. »

Or fut regardé que on retiendroit ce maître Guillaume de-lez le roi, et lui donneroit-on tant qu’il s’en contenteroit ; car c’est la fin que médecins tendent toujours, que avoir grands salaires et profits des seigneurs et des dames, de ceux et celles qu’ils visitent. Et fut requis et prié de demeurer lez le roi. Mais il s’excusa trop fort et dit qu’il étoit désormais un vieux homme, foible et impotent, et qu’il ne pourroit souffrir l’ordonnance de la cour et que briévement il vouloit retourner à sa nourriçon. Quand on vit que on n’en auroit autre chose, on ne le voult point courroucer ; on lui donna congé ; mais à son département on lui donna mille couronnes d’or. Et fut escript et retenu à quatre chevaux, toutes et quantes fois qu’il lui plairoit à venir à l’hôtel du roi. Je crois que oncques puis n’y rentra ; car quand il fut venu en la cité de Laon, où le plus communément il se tenoit, il mourut très riche homme. Et avoit bien en finance, tant fut trouvé du sien, trente mille francs. Et fut en son temps le plus eschars et aver que on sçût. Et étoit toute sa plaisance, tant qu’il véquit, à assembler grand’foison de florins. Et chez soi il ne dépendoit pas tous les jours deux sols parisis, mais alloit boire et manger à l’avantage où il pouvoit. De telles verges sont battus tous médecins.

CHAPITRE XXXI.

Comment les trèves furent rallongées entre France et Angleterre, et comment le roi étoit revenu en son bon sens.


Vous sçavez, et il est ci-dessus contenu en notre histoire, comment les trèves furent données à Lolinghen et accordées à durer trois ans entre France et Angleterre, et avoient les ambassadeurs de France, c’est à entendre le comte de Saint-Pol, le sire de Chastel-Morant, et messire Taupin de Cantemerle, été en Angleterre avecques le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, pour savoir l’intention du roi et du peuple d’Angleterre ; car on avoit tant proposé et si avant entre les parties au parlement à Amiens, que on étoit sur forme et état de paix et sur certains articles dénommés et prononcés, mais que il plut à la communauté d’Angleterre. Tout ce avoient réservé le duc de Lancastre et le duc d’Yorch. Et sis avez comment les dessus nommés étoient retournés en France, car on leur avoit répondu que à la Saint-Michel, qui prochainement devoit venir, les parlemens seroient à Westmoustier des trois états d’Angleterre ; et là seroit remontré tout l’affaire généralement ; et en auroit-on réponse.

Or avint que, quand les nouvelles furent sçues en Angleterre de la maladie et impotence du roi de France, les choses en furent grandement retardées. Néanmoins le roi Richard d’Angleterre et le duc de Lancastre avoient affection très grande à la paix ; et si par eux la chose allât, la paix eût été tôt entre France et Angleterre,

  1. Alouettes.