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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Les dessus nommés à ce faire s’accordèrent volontiers par cause de bon moyen ; et s’en vinrent tous trois devers messire Olivier de Cliçon ; et firent tant qu’ils parlèrent à lui, ce m’est avis, au Chastel-Josselin ; et lui remontrèrent l’intention du duc, et ce dont ils étoient chargés, et plus avant, pour approcher à la paix ; car la guerre d’eux deux étoit mal séante en Bretagne, et trop déplaisoit aux nobles de Bretagne et grévoit à tous marchands et au menu peuple : « Messire Olivier, nous vous disons ainsi, que si il vous plaît aller devers monseigneur, en cause de assurance, tant que vous serez retourné en arrière, nous nous obligeons à ici demeurer et tenir sans point partir ni issir les portes de Chastel-Josselin ; et nous supposons assez que si vous êtes en la présence de monseigneur, vous serez à paix et d’accord, car nous l’en véons en bonne volonté. »

À ces paroles répondit messire Olivier de Cliçon et dit : « Beaux seigneurs, que vous profiteroit-il si j’étois mort ? Pensez-vous que je ne connoisse pas le duc de Bretagne ? Certes si fait. Il est trop cruel et haut ; et quoique il vous ait indicté et informé, et que il me donne sauf allant et retournant, si il me véoit en sa présence, jà pour parole qu’il vous ait promise, il ne cesseroit s’il n’avoit vu mort ; et si j’étois mort, vous mourriez aussi, car mes hommes vous occiroient, ni jà pitié ni mercy n’en auroient. Si vaut mieux que vous vivez, et moi aussi, que nous nous boutons en ce danger ; car de lui je me garderai bien, et de moi il se garde ainsi que bon lui semble. »

Donc répondit messire Charles de Dinant et dit : « Beau cousin, vous pouvez dire ce qu’il vous plaît, mais nous ne l’avons point vu en celle volonté de vous occire, s’il vous véoit par le moyen que nous vous offrons, mais à bonne affection de vous laisser venir à accord à lui ; et nous vous prions que vous le veuilliez faire. » Donc répondit le sire de Cliçon et dit : « Je crois assez que vous ne voulez que tout bien ; mais sur celle assurance que vous me présentez, je ne me avancerai point d’aller devers le duc de Bretagne. Et puisque vous vous entremettez en bonne manière, ainsi le dois-je et vueil entendre, je vous dirai que je ferai et quelle réponse acceptable je vous baillerai. Vous retournerez devers lui qui ci vous envoie, et lui direz que point je ne vous vueil prendre en pleiges ni en ôtages, mais il m’envoie son héritier, qui est fiancé à la fille du roi de France, et cil demeurera en la garde de mes hommes au Chastel-Josselin tant que je serai allé et retourné. Celle voie est plus acceptable pour moi que nulle des autres et est raisonnable ; car si vous demeurez ici, si comme vous offrez, qui s’entremettra des besognes et traités, ni qui seroit moyen entre nous deux, qui jamais, sans moyen, ne serions d’accord ? »

Quand les dessus nommés barons de Bretagne virent qu’ils n’en auroient autre chose, si prirent congé. Messire Olivier leur donna. Et se partirent de Chastel-Josselin, et retournèrent à Vannes devers le duc de Bretagne, et lui recordèrent toutes les paroles et réponses dessus dites, auxquelles, tant que de son fils envoyer au Chastel-Josselin, il ne se fût jamais consenti. Si demeura la chose en cel état et la guerre comme devant crueuse ; et n’osoit nul chevaucher en Bretagne sur les champs, ni aller par les chemins pour celle guerre. Marchandise en étoit toute morte parmi Bretagne ; et toutes gens ès cités et bonnes villes s’en sentoient ; et les laboureurs des terres mêmement s’en refroidoient et séjournoient.

La duchesse de Bourgogne couvertement confortoit son cousin de gens d’armes bourguignons et autres qu’elle lui envoya, car le duc de Bretagne ne trouvoit nul de son pays qui se voulsist armer pour celle guerre. Mais s’en dissimuloient chevaliers et écuyers de Bretagne, si ils n’étoient de l’hôtel du duc. Le duc d’Orléans d’autre part, qui moult aimoit messire Olivier de Cliçon, le confortoit couvertement et lui envoyoit gens d’armes et bons coursiers pour le rafreschir de montures. Et trop plus souvent chevauchoient aux aventures messire Olivier de Cliçon et ses routes que le duc ne fit. Et avint que une fois il encontra deux écuyers du duc de Bretagne, qui chevauchoient et alloient en besogne pour le duc ; l’un on appeloit Bernard et l’autre Ivonnet : ils ne purent fuir ni éloigner, car ils chéirent ès mains de messire Olivier Cliçon, qui fut moult joyeux de leur venue, car bien les connoissoit. L’un lui avoit fait du temps passé service, et l’autre non, mais déplaisance ; si lui en souvint là. Quand ils se virent attrapés, ils furent tout ébahis. Donc dit messire Olivier