Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1393]
185
LIVRE IV.

à Ivonnet : « Te souvient-il comment au chastel de l’Ermine de-lez Vannes, en une tour, tu me enferras mal courtoisement ? et tu, Bernard, tu en avois pitié, et devêtis ta gonne, pourtant que j’étois en pur mon doublet sur le pavement, pour moi eschever du froid ; je le te vueil ici remerir. La vie t’en sera sauvée ; mais ce garçon traître Ivonnet, qui bien s’en fût passé à moins faire, si il voulsist, y demeurera. » À ces mots il traist une dague, et il même l’occit, et puis passa outre. Aux varlets il ne fit rien.

Une autre fois, messire Olivier de Cliçon chevauchoit devers le chastel d’Auroy, car le duc et la duchesse étoient là ; et avoit bien trois cents lances en sa compagnie ; et d’aventure il trouva bien quarante varlets de l’hôtel du duc qui étoient sur les champs. Et fut environ la Saint-Jean en été. Ces varlets avoient lié leurs chevaux aux arbres, et avoient faucilles, et soyoient[1] à pouvoir les blés pour faire faix et trousses et pour reporter à leurs logis comme fourrageurs. Messire Olivier vint sur eux et les épouvanta. Autre mal il ne leur fit, et leur dit : « Et comment êtes-vous tant osés de vous mettre sur les champs et de tollir et embler la garnison des laboureurs ; vous ne les avez pas semés, et si les coupez avant qu’ils soient mûrs ; vous commencez trop tôt à faire août. Or tôt prenez vos faucilles et montez sur vos chevaux. Pour l’heure je ne vous ferai faire nul mal ; mais allez, et dites au duc de Bretagne, qui est en Auroy, je le sais bien, qu’il vienne ou envoie ses hommes recueillir ce que soyé avez, et que Cliçon lui mande, et que ci on le trouvera jusques à soleil esconsant. »

Les varlets, qui furent tous joyeux de celle délivrance, car ils cuidoient être tous morts, reprirent leurs faucilles et montèrent sur leurs chevaux et s’en retournèrent au chastel d’Auroy devers le duc ; et crois assez que ils lui recordèrent ces nouvelles ; et autre chose n’en fut ; ni point ne issit ni fit issir ses hommes du chastel.

Telles escarmouches faisoient adoncques en Bretagne le duc et messire Olivier de Cliçon l’un sur l’autre, et ne s’ensonnioient point ceux du pays de leur guerre. Nous nous souffrirons à parler du duc de Bretagne, de messire Olivier de Cliçon et de leur guerre et retournerons aux besognes de France et d’Angleterre.

CHAPITRE XXXV.

De la forme de paix qui fut faite et octroyée entre les deux rois de France et d’Angleterre, et par le moyen des quatre ducs, oncles des deux rois.


Vous savez comment les parlemens furent en la cité d’Amiens, et comment les seigneurs se départirent l’un de l’autre et sur quels articles ; et comment on envoya en Angleterre ; et la réponse que on eut des Anglois, qui durs étoient à venir à paix, car il ne tenoit pas du tout au roi Richard d’Angleterre, au duc de Lancastre, au duc d’Yorch, ni à ceux qui les traités et paroles de la paix avoient portés, mais grand’part à la communauté d’Angleterre ; et désiroient les communs, archers et tels gens, à ce qu’ils disoient et montroient, trop plus la guerre que la paix de France et d’Angleterre, et les deux parts des jeunes gentils hommes, chevaliers et écuyers qui ne se savoient où employer, et qui appris avoient à être oiseux et tenir bon état sur le fait de la guerre ; et au fort si convenoit-il qu’ils obéissent là ou le roi, ses oncles et la plus saine partie d’Angleterre s’inclinoit. Le duc de Lancastre considéroit toutes ces choses, tant pour l’amour de ses filles, qui roines étoient, si comme vous savez, l’une d’Espaigne et l’autre de Portingal, que pour ce qu’il véoit que le roi son neveu s’y inclinoit aussi ; et disoit que la guerre avoit assez duré, et étoit de cette opinion, et y rendoit grand’peine, mais qu’il véit que ce fût à l’honneur du royaume d’Angleterre. Du côté du royaume de France, le duc de Bourgogne y rendoit aussi grand’peine, car il véoit qu’il étoit grandement chargé des consaulx et besognes de France, et que ses deux neveux étoient jeunes d’âge et de sens, le roi et le duc d’Orléans ; et si se trouvoit un grand héritier, attendant encore de grands héritages de toute la duché de Brabant ; et si Flandre et Brabant au temps à venir se différoient contre la couronne de France avecques la puissance d’Angleterre, ainsi que autrefois ils avoient fait, le royaume de France auroit trop d’ennemis. Ce duc de Bourgogne étoit moult imaginatif et véoit moult loin en ses besognes, si que il me fut dit par hommes notables qui de ces besognes devoient savoir la certaineté, que il et le duc de Lancastre rendirent grand’peine à ce que les parlemens fussent de rechef mis et assis à Lolinghen, où autrefois avoient été, et y fussent si forts de toutes par-

  1. Coupaient.