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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/209

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LIVRE IV.

grandement en tous états et toutes manières pour son frère ; et me suis laissé informer par aucuns Anglois, qui en cuident savoir aucune chose, que le duc de Glocestre s’y incline principalement, pour ce qu’il verroit volontiers que son frère de Lancastre demeurât de tous points en Guyenne, et plus par cause de résidence ne retournât en Angleterre, car il y est trop grand. Et ce Thomas, duc de Glocestre est de très merveilleuse tête, et est orgueilleux, présomptueux et de périlleuse manière ; mais quoiqu’il fasse ni dise, il est toujours avoué de là communauté d’Angleterre, et bien aimé ; et tous s’inclinent à lui, et il à eux. C’est cil qui fit mourir et décoler ce vaillant chevalier messire Simon Burlé, et a bouté d’Angleterre le duc d’Irlande et l’archevêque d’Yorch ; et plusieurs chevaliers et autres du conseil du roi il a fait mourir par haine et à petite achoison, pendant que le duc de Lancastre a été de là la mer, fût en Castille et en Portingal ; et est plus crému en ce pays que aimé.

« Or laissons ester pour le présent celle matière, ce dit messire Jean de Grailly, et parlons de la seconde et de la plaisance du roi. Il m’est avis, selon que je vois et suis informé, que le roi d’Angleterre se marieroit très volontiers. Et a fait chercher partout ; et ne trouve-t-on nulle femme pour lui ; car si le duc de Bourgogne et le comte de Hainaut eussent nulles filles en point de marier, il y entendit volontiers, mais ils n’en ont nulles qui ne soient toutes assignées. Il est venu avant qui lui a dit que le roi de Navarre a des sœurs et des filles, mais il n’y veut entendre. Le duc de Glocestre, son oncle, a une fille toute grande assez pour entrer en mariage ; et verroit volontiers que le roi son neveu la prinst à femme, mais le roi n’y veut entendre, et dit qu’elle lui est trop prochaine de lignage, car elle est sa cousine germaine. À la fille du roi de France s’incline le roi d’Angleterre et non ailleurs, dont on est moult émerveillé en ce pays, de ce qu’il veut prendre la fille de son adversaire ; et n’en est pas le mieux de son peuple, mais il n’en fait compte ; et montre, et a montré toujours, qu’il auroit plus cher la guerre d’autre part que au royaume de France, car il voudroit, et tout ce sait-on de lui par expérience, que bonne paix fût entre lui et le roi de France et leurs royaumes. Et dit ainsi que la guerre a trop duré entre lui et ses ancesseurs au royaume de France, et que trop de vaillans hommes en sont morts, et trop de maléfices perpétrés et avenus, et trop de peuple chrétien tourné à perdition et destruction, dont la foi chrétienne est affaiblie. Et est avenu que, pour ôter le roi de ce propos, car il n’est pas plaisant au royaume d’Angleterre de le marier en France, on lui a dit que la fille du roi de France, dont il veut traiter, est trop jeune, et que encore dedans cinq ou six ans il ne s’en pourroit aider ; mais il a répondu et dit ainsi : que Dieu y ait part, et qu’elle croîtra en âge, et trop plus cher il l’a pour le présent jeune que âgée. Et à ce il baille raison selon sa plaisance et imagination, et dit ainsi : que si il l’a jeune, il la duira et ordonnera à sa volonté, et la mettra et inclinera à la matière d’Angleterre ; et qu’il est encore jeune assez pour attendre tant que la dame soit eu âge. Ce propos ne lui peut nul ôter ni briser ; et de tout ce, avant votre département, vous verrez plusieurs choses ; car, pour entendre pleinement à toutes ces besognes, le roi chevauche vers Londres. »

Ainsi par sa courtoisie se devisoit sur le chemin à moi, en chevauchant entre Rochestre et Dartforde, messire Jean de Grailly, capitaine de Bouteville, qui jadis avoit été fils bâtard à ce vaillant chevalier le captal de Buch ; et ses paroles je les oyois très volontiers, et les mettois toutes en mémoire. Et tant que nous fûmes sur le chemin de Ledes à Eltem je chevauchai toujours le plus en sa compagnie et en celle de messire Guillaume de l’Île.

Or vint le roi à Etlem par un mardi. Le mercredi ensuivant, commencèrent seigneurs à venir de tous côtés ; et vinrent le duc de Glocestre, les comtes de Derby, d’Arondel, de Northombreland, de Kent, de Rostelant, le comte Maréchal, les archevêques de Cantorbie et d’Yorch, les évêques de Londres et de Winchestre et tous ceux qui mandés étoient et furent. Le jeudi à heure de tierce, si commencèrent les parlemens en la chambre du roi ; et là étoient en la présence du roi, de ses oncles et de tout le conseil les chevaliers de Gascogne, qui envoyés y étoient pour leur partie ; et le conseil des cités et bonnes villes, et celui du duc de Lancastre. Aux paroles qui furent là dites et proposées je ne étois pas présent, ni être ne pouvois, ni nul n’étoit