Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
[1394]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en la chambre, fors les seigneurs du conseil. Mais quand le conseil fut esparti, qui dura plus de quatre heures, et ce vint après dîner, je me acointai d’un ancien chevalier, que jadis de ma jeunesse j’avois vu en la chambre du roi Édouard, et pour lors il étoit du détroit conseil du roi Richard, et bien le valoit ; et étoit nommé messire Richard Stury, lequel me reconnut tantôt, Si étoient bien vingt quatre ans passés qu’il ne m’avoit vu ; et la derraine fois ce fut à Colleberghe à Bruxelles en l’hôtel du duc Wincelant de Brabant et de la duchesse Jeanne de Brabant. Messire Richard Stury me fit très bonne chère et me recueillit doucement et grandement ; et me demanda de plusieurs nouvelles. Je lui répondis tout à point de celles que je savois. Après tout ce, et en gamblant lui et moi ès allées à l’issue de la chambre du roi à Eltem, je lui demandai de ce conseil, voire si dire le me pouvoit, comment il étoit conclu. Il pensa sur ma parole et demande un petit, et puis me répondit et dit : « Oil, ce ne sont pas choses qui fassent à celer, car prochainement on les verra et orra publier partout. Vous savez, dit le chevalier, et avez bien ouï recorder, comment le duc de Lancastre est allé en Aquitaine, et du don que le roi notre sire lui a fait et donné, sur forme et entente de bonne condition, car le roi aime et croit tous ses charnels amis, et par espécial ses oncles. Et se sent moult tenu à eux, et espécialement à son oncle le duc de Lancastre ; et en cause de rémunération qui est belle et grande, et bien connue, et pour les beaux services que le dit duc a faits à la couronne d’Angleterre, tant deçà la mer comme de là, le roi lui a donné purement et quittement, a lui et à ses hoirs perpétuellement, toute la duché d’Aquitaine, ainsi comme elle s’étend et comprend en toutes ses mettes et limitations, sénéchaussées, baillies, mairies, seigneuries et vassaudies ; et en clame quittes tous ceux qui de lui tiennent en foi et hommage, réservé le ressort. Autre chose n’y a-t-il retenu pour la couronne d’Angleterre au temps à venir. Et le don que le roi a fait à son oncle de Lancastre a été fait et donné si suffisamment que passé par l’accord et confirmation de ses autres oncles et de tout le conseil d’Angleterre. Et espécialement a commandé le roi notre sire, par ses lettres patentes et en parole de roi, que tous ses sujets, qui sont ès mettes et limitations d’Aquitaine, et enclos dedans les bonnes villes, obéissent de tous points, sans moyen nul ni contredit, à son cher et bien aimé oncle, le duc Jean de Lancastre ; et le tiennent, ces lettres vues, à seigneur souverain ; et lui jurent foi et hommage à tenir loyaument, ainsi que anciennement ils ont fait et tenu, faisoient et tenoient, au jour que ces dites lettres furent montées, au roi d’Angleterre ou à leurs commis. Et s’il y a nul rebelle, de quelque état ou condition qu’il soit, qui contredise aux lettres du roi envoyées, les lettres vues et entendues parfaitement d’article en article, qu’il ait pourvéance de conseil pour répondre tant seulement trois jours. Et le roi donne à son oncle de Lancastre, et à ses commis députés, puissance d’eux punir et corriger à sa conscience, sans espérance nulle avoir de retour ni de ressort.

« Or est avenu, nonobstant ces lettres et le détroit commandement du roi, vu que les cités et bonnes villes de Gascogne obéissans au roi d’Angleterre, et les barons, chevaliers et gentils hommes du pays se sont conjoins et adhers ensemble, et clos un temps à l’encontre du duc, et ne veulent point obéir n’y n’ont vouloir ; et disent maintenant et soutiennent, et ont dit, maintenu et soutenu jusques à ores, que le don que le roi a fait à son oncle de Lancastre est inutile et hors des mettes et termes de raison. Le duc, qui ne veut que par douceur aller avant en celle besogne, a bien ouï et entendu leurs défenses ; si s’est conseillé sur ce, avant que plus grand mal s’en suive, que les nobles, les prélats et consaulx des cités et bonnes villes de Gascogne obéissans au roi d’Angleterre soient ci venus, ou aient envoyé pour ouïr droit, à savoir pourquoi ils ont débattu et débattent, et ont opposé et opposent le commandement et volonté du roi. Et certainement ils ont huy remontré moult sagement leurs défenses et atteint les termes et articles de raison ; et volontiers ont été ouïs ; et ont donné au roi et à tout le conseil moult à penser ; et pourroit bien demeurer sur leur querelle ; et je vous remontrerai et dirai raison pourquoi : mais vous le tiendrez secret tant que plus avant sera connu et publié. » Et je respondis : « Sire, je le ferai. »

« Remontré et dit a été par la parole de l’un, qui est ce me semble official de Bordeaux, et tous ceux de sa partie l’ont avoué, et par science.