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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/211

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LIVRE IV.

Et tout premièrement il montra procuration pour lui et tous les autres, afin que on y eût plus grand’confidence, et c’étoit raison. Et mit en termes : que la cité de Bordeaux, les cités de Bayonne, de Dax, et toutes les seigneuries qui sont appendantes et appartenantes ès mettes et limitations d’icelles, sont de si noble condition que nul roi d’Angleterre, pour quelconque action que ce soit, ne les peut ôter ni disjoindre du domaine de la couronne d’Angleterre, ni donner ni aliéner à enfant, oncle ni frère qu’il ait, pour cause de mariage ni autrement ; et que ce soit vérité, les dessus dites villes, cités et seigneuries en sont privilégiées suffisamment des rois d’Angleterre, lesquels l’ont juré à tenir entièrement sans nul rappel. Et si très tôt que un roi d’Angleterre entre en la possession de l’héritage et couronne d’Angleterre, il jure suffisamment, main mise sur le missel, à tenir celles et non enfreindre ni corrompre. « Et vous, très cher sire, l’avez juré pareillement. Et que ce soit vérité, véez ci de quoi. »

« À ces paroles il montra et mit avant une lettre tabellionnée et scellée du grand scel d’Angleterre, donnée du roi Richard qui là présent étoit ; et la légït tout au long de clause en clause ; laquelle lettre fut bien ouïe et entendue, car elle étoit en latin et en françois ; et nommoit en la fin plusieurs prélats et hauts barons d’Angleterre ; qui à ce furent appelés en cause de sûreté et de témoignage ; desquels il y avoit jusques à onze. Quand ils eurent ouï la lettre lire, ils regardèrent tous l’un l’autre et sur le roi ; et n’y eut homme qui dit mot, ni répliquât contre la lettre. Quand cil l’eut lue, il la reploya moult bellement, et puis parla avant et dit, adressant sa parole sur le roi : « Très cher sire et redouté, et vous, mers chers seigneurs, avecques toutes ces choses, lesquelles vous avez ouïes, je fus chargé à mon département du conseil, des bonnes villes dessus dites et de tout le pays enclos dedans, que je vous desisse et remontrasse une considération que le conseil des cités et bonnes villes de Gascogne, de l’obéissance et du domaine de la couronne d’Angleterre, ont eue sur la forme du mandement que envoyé leur avez, ainsi comme il appert par votre scel et que bien connoissoient, posé qu’il soit ce qu’il ne peut être ; car s’il étoit ainsi que les cités et les bonnes villes de Guyenne s’inclinassent à vouloir recevoir le duc de Lancastre à seigneur, et fussent quittes et délivrées pour toujours mais de l’hommage et obéissance qu’ils vous doivent, ce seroit trop grandement au préjudice de la couronne d’Angleterre, car si pour le temps présent le duc de Lancastre est homme du roi et bien aimé à tenir et à garder tous les points et articles droituriers de la couronne d’Angleterre, cette amour et tenure au temps à venir se peut trop légèrement perdre et éloigner, par les hoirs qui se muent et les mariages qui se font des seigneurs terriens et dames terriennes de l’un à l’autre, tant soient-ils prochains et conjoins de lignage, par dispensation de pape ; car il est nécessité que mariages soient faits de hauts princes ou de leurs enfans pour tenir les terres ensemble et en amour. Et pourroit avenir que les hoirs qui descendront des ducs de Lancastre se conjoindront par mariage aux enfans des rois de France ou des ducs de Berry, Bretagne, des comtes de Foix ou d’Armignac, des rois de Navarre ou des ducs d’Anjou ou du Maine ; et qu’ils voudront tenir puissance avecques les alliances qu’ils trouveront et feront de là la mer ; et se clameront héritiers de ces terres ; et mettront la duché de Guyenne en débat et en ruine contre la couronne d’Angleterre ; par quoi le roi et le royaume d’Angleterre, en temps à venir, pourroit avoir trop de peine, et le droit éloigner de là où il devroit retourner, et le domaine de la noble couronne d’Angleterre perdre sa seigneurie. Pourquoi, très cher et redouté seigneur et roi, et vous nos très chers et amés seigneurs de son noble conseil, veuillez considérer tous ces points et articles, lesquels je vous ai présentement proposés et déterminés, s’il vous semble bon ; car c’est la parole de tout le pays qui veut demeurer en l’obéissance de vous, très redouté seigneur et roi, et au domaine de la couronne. »

« Atant se cessa à parler l’official pour l’heure ; et les seigneurs et prélats regardèrent tous l’un l’autre, et puis se mirent ensemble en approchant le roi ; tous premiers ses deux oncles les comtes de Derby et d’Arondel. Et fut adonc dit que ceux qui étoient là venus d’Aquitaine partissent de la chambre, tant qu’ils seroient appelés. Ils le firent, et les deux chevaliers qui étoient là venus de par le duc de Lancastre. Et ce fait, le roi demanda conseil aux prélats et