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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/221

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LIVRE IV.

fans étoient en l’hôtel de Saint-Pol sur Saine ; si fut accordé et octroyé pour le mieux aux seigneurs d’Angleterre et à leur prière et requête, que ils verroient la roine de France et ses enfans, et par espécial cette pour laquelle ils prioient et requéroient et étoient venus, car moult la désiroient à voir. L’excusation du conseil d’Angleterre étoit telle, que cette fille du roi étoit moult jeune, car ce n’étoit que un enfant de huit ans, et il ne peut pas avoir trop grand ordonnance de prudence ; si étoit-elle de son âge moult bien introduite et doctrinée ; et telle la trouvèrent les seigneurs d’Angleterre quand ils parlèrent à elle. Et lui dit le comte Maréchal, étant à genoux devant elle : « Madame, au plaisir de Dieu, vous serez notre dame et roine d’Angleterre. » — « Sire, répondit la jeune fille et de li tout avisée sans conseil d’autrui, s’il plaît à Dieu et à monseigneur mon père que je sois roine d’Angleterre, je le verrai volontiers ; car on m’a bien dit que je serai une grand’dame. » Et adonc elle fit lever le comte Maréchal et l’amena par la main à la roine sa mère, qui eut grand’joie de sa réponse ; et aussi eurent tous ceux et celles qui ouïe l’avoient. La manière, ordonnance, doctrine et contenance de celle jeune fille de France plut grandement aux ambassadeurs d’Angleterre ; et dirent et imaginèrent entre eux qu’elle seroit encore une dame de haut honneur et de grand bien.

La conclusion de ce traité fut telle. Quand ces seigneurs d’Angleterre eurent été et séjourné à Paris plus de vingt jours, mais tous leurs menus frais de bouche et de leurs chevaux étoient payés de par le roi de France, réponse raisonnable leur fut donnée, belle et courtoise de par le roi et le conseil, en eux donnant grand’espérance que ce pour quoi ils étoient venus se feroit ; mais ce ne seroit pas sitôt, car la dame qu’ils vouloient avoir étoit moult jeune d’âge ; et avec tout ce elle étoit obligée et convenancée en cause de mariage au duc de Bretagne pour son ains-né fils. Si convenoit traiter devers lui pour rompre celle convenance, avant que les procès pussent aller plus avant ; et cel hiver qui devoit entrer et venir on laisseroit les choses en cel état ; et là en dedans on auroit nouvelles en Angleterre de par le roi de France. Et sur le temps de carême, que les jours commencent à embellir et élonger et les mers à apaiser, ils retourneroient, ou autres que le roi d’Angleterre y voudroit envoyer, en France, devers le roi et son conseil, et ils seroient les bien venus.

De celle réponse se contentèrent les Anglois, et prirent congé à la roine et a sa fille la jeune dame Isabel de France, aux frères et oncles du roi, et à tous ceux auxquels il appartenoit congé prendre. Et puis se départirent de Paris et se mirent au retour pour revenir à Calais le chemin qu’ils étoient venus ; et firent tant par leurs journées qu’ils retournèrent en Angleterre. Et se hâtèrent devant toutes leurs gens les deux comtes d’Angleterre, qui chefs avoient été de ce traité, le comte de Rostelant et le comte Maréchal, pour apporter nouvelles au roi ; et vinrent, de Zandvich où ils prirent terre, en moins de jour et demie à Windesore, où le roi pour ces jours se tenoit, qui fut moult joyeux de leur venue, et se contenta des réponses du roi de France et de ses oncles ; et ne mit pas celle chose en non chaloir, mais la prit si à cœur et à grand’plaisance que il n’entendoit à autre chose fors toudis viser et subtiller comment il pourroit venir à son entente d’avoir à femme et à épouse la fille du roi de France.

Le roi d’Angleterre, d’une part, pensoit comment il viendroit par toutes voies au mariage de la jeune fille du roi de France, et ses consaux, d’autre part, pensoient et subtilloient nuit et jour comment celle chose se feroit à l’honneur d’eux et du royaume de France. Plusieurs en parloient et devisoient ainsi : « Si nous étions appelés en ces traités de France et d’Angleterre, et notre parole fût ouïe et acceptée, nous dirions ainsi : que jà le roi d’Angleterre n’auroit la fille de France, si seroit bonne paix entre lui et le roi d’Angleterre, leurs royaumes, leurs conjoins et leurs adhérens à la guerre. À quoi sera-ce bon que le roi d’Angleterre aura à femme la fille du roi de France, et eux et leurs royaumes, les trèves passées, qui n’ont à durer que deux ans, se guerroieront ; et seront eux et leurs gens en haine ? Ce sont choses qui sont moult à considérer. »

Les ducs d’Orléans et de Berry étoient de celle opinion, et plusieurs hauts nobles du royaume de France ; et tout ce savoient bien le roi de France et le duc de Bourgogne, et le chancelier de Bourgogne et le chancelier de