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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/225

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LIVRE IV.

tente prit congé au roi et aux seigneurs et vint à Londres ; et lendemain il s’ordonna de chevaucher, et vint au gîte en une ville à quinze lieues anglesches de Londres, que on dit Brehoude[1], et au lendemain il vint à Plaissy ; et trouva le duc, la duchesse et leurs enfans, qui le recueillirent doucement selon son état. Robert montra et bailla ses lettres, qu’il apportoit de par le roi de France au duc de Glocestre. Le duc les ouvrit et legit tout au long ; et quand il vit qu’elles étoient de créance, si trait à part Robert l’Ermite et lui demanda la créance. Robert répondit que tout à loisir il lui diroit, et que pas il n’étoit venu pour sitôt partir. Adonc dit le duc qu’il fût le bien venu.

Bien savoit Robert l’Ermite que ce duc de Glocestre étoit un homme moult dissimulant et contraire à la paix, et tout hors de l’accord et opinion du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre, qui s’inclinoient assez au traité de la paix : si ne le savoit comment entamer et briser, car il l’avoit vu et connu trop contraire aux traités à Lolinghen.

Pour ce ne demeura pas que Robert l’Ermite ne parlât au duc de Glocestre sur forme de paix ; mais il trouvoit le duc froid en ses réponses ; et disoit que pas il ne tenoit à lui, et qu’il avoit deux frères ains-nés, le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, auxquels de celle matière il appartenoit mieux à parler que à lui. Et aussi si il tout seul le vouloit, espoir ne le voudroient point accepter les consaulx d’Angleterre, les prélats et bonnes villes. « Très cher sire, pour la sainte amour de notre Seigneur Jésus-Christ, ne veuillez point être contraire à la paix, ce répondoit Robert l’Ermite. Vous y pouvez moult ; et jà véez-vous que le roi votre neveu le désire et s’y incline grandement ; et veut par voie de mariage avoir la fille du roi de France ; dont, par cette conjonction c’est une grand’alliance, de paix et d’amour. » À cette parole répondit le duc de Glocestre et dit : « Robert, Robert, quoique vous soyez cru et ouï à présent des rois et des seigneurs des deux royaumes, et que vous ayez grand’voie et audience à eux et en leurs consaux, la matière de la paix est si grande, et que avecques vous plus grands et plus crus de vous s’en entremettent, je vous dis et ai dit ci et ailleurs que jà ne serai contraire à paix faire, mais qu’elle soit à l’honneur de notre partie. Et jà fut-elle du roi notre père et de notre frère le prince de Galles et les autres, jurée et accordée au roi Jean et à tous ses successeurs, et de leur côté jurée, obligée et enconvenancée sur peine et sentence du pape ; et point n’a été tenue ni de nulle valeur ; mais l’ont les François enfreinte, et brisée cauteleusement et frauduleusement ; et ont tant fait que ils se sont remis en possession et saisine de toutes les terres et seigneuries, qui furent rendues et délivrées par paix faisant à notre dit seigneur et père et à nos prédécesseurs. Et en outre, de la somme de trente cent mille francs que la rédemption monta en paiement, encore en sont à payer seize cent mille. Pour lesquelles choses, Robert, tels mémoires et souvenances qui devant nous reviennent, nous angoissent et troublent les courages durement. Et nous émerveillons, moi et plusieurs de ce royaume auxquels il en appartient bien, comment le roi notre sire est de si jeune et si foible avis qu’il ne regarde et considère autrement le temps passé et le temps présent ; et comment il se peut et veut allier à ses adversaires, et par cette alliance déshériter la couronne d’Angleterre des rois à venir. » — « Très cher sire, répondit Robert, notre sauveur Jésus-Christ souffrit mort et passion en croix pour nous, tous pécheurs, et pardonna sa mort à ceux qui le crucifièrent. Il convient aussi tout pardonner, qui veut avoir part et venir à la gloire du paradis. Toutes malivolences, haines et rancunes furent pardonnées au jour que la paix fut faite et scellée à Calais par vos prédécesseurs. Or sont renouvelées guerres moult dures qui ont été entre les vôtres et les nôtres, espoir par l’action et coulpe des deux parts. Car quand le prince de Galles et d’Aquitaine fut issu hors d’Espaigne et retourné en Aquitaine, une manière de gens qui s’appeloient Compagnies, dont la greigneur partie étoient Anglois et Gascons, tous tenans du roi d’Angleterre et du prince de Galles, se mirent sus et recueillirent ensemble, et entrèrent au royaume de France sans nul titre de raison ; et firent mortelle et crueuse guerre, aussi dure et forte comme elle avoit été en devant ; et appeloient le royaume de France leur Chambre ; et étoient si entalentés de mal faire que on ne pouvoit

  1. Brentwood.