Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
[1394]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

y prit très grand’plaisance ; et par espécial quand il vint au point de ce Robert l’Ermite, le roi d’Angleterre dit en soi-même que ce Robert il verroit volontiers et orroit parler, et s’inclinoit assez à croire en vérité que celle chose qu’il remontroit et prouvoit étoit avenue[1] ; et rescripsit le roi fiablement au duc de Lancastre et au comte de Salsebry que, si on pouvoit par nulle voie honorablement faire que bonne paix, fût entre lui et le roi de France, leurs royaumes, conjoints et adhérents à la guerre, ils s’en voulsissent mettre en peine ; car voirement, selon la parole de ce Robert l’Ermite, la guerre avoit trop longuement duré, et que bien étoit temps de y trouver aucun moyen de paix.

Bien est contenu ci-dessus comme les traités se portèrent, et le département que les seigneurs firent l’un de l’autre et comment trèves furent prises et données entre toutes parties à durer quatre ans, et cependant on feroit bonne paix. Telle fut l’intention des traiteurs du roi, réservé le duc de Glocestre ; car bien promettoit, lui retourné en Angleterre, jamais de traité de paix envers le royaume de France ne s’ensonnieroit. Si s’en dissimula adonc tant qu’il put, pour complaire au roi et à son frère le duc de Lancastre. Ainsi par celle manière et ordonnance que je vous ai dit et recordé vint en connoissance Robert l’Ermite.

Assez tôt après que le comte de Rostelant, le comte Maréchal, l’archevêque de Duvelin, messire Hue le Despensier, messire Louis de Cliffort et ceux qui en France avoient été envoyés, furent retournés en Angleterre, et eurent apporté sur l’état de ce mariage nouvelles plaisantes au roi, les parlemens à la Saint-Michel, qui se tiennent à Westmoustier, vinrent ; et ont usage et ordonnance de durer quarante jours ; et sont parlemens et consaux généraux de toutes les besognes d’Angleterre qui là se retrouvent et retournent.

À l’entrée des parlemens retourna en Angleterre le duc de Lancastre du pays de Gascogne et de la cité de Bordeaux où il avoit été envoyé, ainsi que vous savez ; et n’avoit point été reçu sur la forme et manière que il cuida être, quand il se départit d’Angleterre, et il alla à Bordeaux. Je cuide si bien les causes avoir dites et remontrées ci-dessus au dit livre, que peine me feroit de réciter encore une fois. Quand le duc de Lancastre fut revenu en Angleterre, le roi et les seigneurs lui firent bonne chère ; ce fut raison ; et parlèrent de leurs besognes ensemble. Si très tôt que les nouvelles furent venues et sçues en France, que le duc de Lancastre étoit retourné en Angleterre, le roi de France et les seigneurs eurent conseil que Robert l’Ermite iroit en Angleterre, et porteroit lettres de créance au roi d’Angleterre qui le désiroit à voir ; et lui revenu en France, on y envoieroit le comte de Saint-Pol ; et s’accointeroit Robert l’Ermite du roi et des seigneurs, qui l’orroient volontiers parler et des besognes de Syrie et de Tartane, et de l’Amorath-Baquin, et de la Turquie où il avoit long-temps conversé, car de telles matières les seigneurs d’Angleterre oyent volontiers parler. Il fut dit à Robert l’Ermite qu’il se ordonnât et qu’il convenoit aller en Angleterre. De cette commission il fut tout réjoui ; et répondit et dit que volontiers il iroit, car oncques il n’y avoit été. Si lui furent baillées lettres de créance de par le roi de France adressant au roi d’Angleterre et à ses oncles. Robert l’Ermite partit de Paris avecques son arroy à sept chevaux tant seulement, et tout aux coûtages du roi, c’étoit raison ; et chevaucha tant qu’il vint à Boulogne, et là entra en mer, et arriva à Douvres, et tant exploita qu’il vint à Eltem, manoir du roi, à sept lieues anglesches de Londres ; et trouva là le roi et le duc de Lancastre, les comtes de Salsebry et de Hostidonne et messire Thomas de Percy ; et fut de tous, pour l’honneur du roi de France, grandement et joyeusement recueilli, et espécialement du roi d’Angleterre qui le désiroit à voir. Il montra ses lettres de créance au roi qui les reçut en bien et les legit tout au long ; et aussi firent tous les seigneurs l’un après l’autre auxquels il apportoit lettres. Le duc de Glocestre pour ces jours étoit en Excesses, en un chastel que on appelle, ce m’est avis, Plaissy[2].

Quand il eût été de-lez le roi et le duc de Lancastre à Eltem cinq jours, il se départit pour aller voir le duc de Glocestre ; et sur celle en-

  1. On voit que les deux monarques de France et d’Angleterre étaient doués à peu près de la même capacité intellectuelle.
  2. Peut-être Plaistow. Jones dit Plesby.