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LIVRE IV.

départirent de la chambre de parlement, et retournèrent chacun en leurs lieux. Ainsi furent rendus ces deux arrêts que je vous dis, dont madame d’Anjou principalement fut cause.

CHAPITRE L.

Comment la conclusion du mariage fut prise à Paris du roi d’Angleterre et d’Isabelle de France, ains-née fille au roi de France, et comment le duc de Lancastre se remaria.


Environ vingt deux jours furent le comte Maréchal, le comte de Rostellant et les ambaxadeurs d’Angleterre devers le roi de France et la roine et les seigneurs à Paris ; et leur fut faite toute la meilleure chère et compagnie comme on put. Et se portèrent si bien les traités et ordonnances, que le mariage fut accordé, pourquoi ils étoient là venus, du roi d’Angleterre à Isabelle ains-née fille du roi Charles de France. Et la fiança et épousa par la vertu d’une procuration, au nom du roi d’Angleterre, le comte Maréchal ; et fut celle dame nommée, et sera d’ores en avant, roine d’Angleterre[1] ; et pour lors, si comme je fus informé, il faisoit plaisant la voir, comme jeune qu’elle fût, car moult bien sçut et savoit faire la roine.

Après toutes ces choses faites et les ordonnances escriptes et scellées, les ambassadeurs d’Angleterre prirent congé au roi de France, à la roine et à sa fille la roine d’Angleterre, et aux seigneurs, et se départirent de Paris ; puis retournèrent arrière à Calais, et de là en Angleterre où ils furent grandement recueillis du roi, du duc de Lancastre et des seigneurs favorables au roi et à ses plaisances et intentions. Mais quiconque fut de ce mariage réjoui en Angleterre, le duc de Glocestre, oncle du roi, n’en eut point de fête ; car il vit bien que, par ce mariage et alliance, paix seroit encore entre les rois et leurs royaumes de France et d’Angleterre ; laquelle chose il verroit trop envis, si la paix n’étoit grandement à l’honneur du roi et des Anglois, et remis au point et en l’état où les choses étoient, quand la guerre renouvela ès parties de Gascogne. Et en parloit aucunes fois à son frère le duc d’Yorch quand il le trouvoit à loisir, et le tiroit tant qu’il pouvoit à ses opinions pourtant qu’il le sentoit mol et simple. Au duc de Lancastre, son ains-né frère, il n’en osoit parler trop largement, pour ce qu’il le sentoit du tout de l’alliance du roi ; et bien plaisoit au dit duc de Lancastre l’alliance de ce mariage, principalement pour l’amour de ses deux filles la roine d’Espagne et la roine de Portingal.

En ce temps se remaria le duc de Lancastre tiercement à une dame, fille d’un chevalier de Hainaut, qui jadis s’appela messire Paon de Ruet, et fut en son temps des chevaliers la noble et bonne roine Philippe d’Angleterre, qui tant aima les Hainuiers, car elle en fut de nation. Celle dame, à laquelle le duc de Lancastre se remaria, on appeloit Catherine[2] ; et fut mise de sa jeunesse en l’hôtel du duc et de la duchesse Blanche de Lancastre, Et avint que, quand la dite duchesse Blanche fut trépassée de ce siècle, si comme il est contenu en notre histoire ici dessus bien avant, et encore madame Constance d’Espaigne, fille au roi Dam Piètre d’Espagne[3], où le duc de Lancastre se remaria secondement et en eut celle fille qui fut roine d’Espaigne, et celle seconde duchesse Constance fut morte, le duc de Lancastre, la dame vivant, avoit tenu celle dame Catherine de Ruet, qui aussi avoit été mariée à un chevalier d’Angleterre. Le chevalier vivant et mort, toujours le duc Jean de Lancastre avoit aimé et tenu celle dame Catherine, de laquelle il eut trois enfans, deux fils et une fille, dont on nommoit l’aîné Jean, et autrement messire Beaufort de Lancastre, et moult l’aimoit ïe duc ; et l’autre eut nom Thomas, et le tint le duc son père à l’école à Asque-Suffort[4] et en fit un grand juriste et légiste ; et fut ce clerc depuis évêque de Lincolne, qui est la plus noble et mieux revenant en grand profit d’argent de toute Angleterre. Et pour l’amour de ses enfans, ce duc de Lancastre épousa leur mère, madame Catherine de Ruet ; dont on fut moult émerveillé en France et en Angleterre, car elle étoit de basse lignée au regard des autres deux dames, la duchesse Blanche et la duchesse Constance, que le duc en devant avoit eues par mariage. Et quand

  1. L’Anonyme de Saint-Denis donne le traité de mariage conclu le 9 mars 1395. Sur la fin de la même année le roi Richard envoya chercher sa nouvelle épouse. La teneur des pouvoirs donnés par Richard II et Charles VI à leurs commissaires pour ce mariage est fort curieuse. Voyez l’Anonyme de Saint-Denis, à l’année 1395.
  2. Son vrai nom était Catherine de Swynforde. Voyez Walsingham, à l’année 1396.
  3. Pierre-le-Cruel.
  4. Oxford.