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LIVRE IV.

notre femme a nous plaît grandement bien, et nous n’aimons pas tant le grand âge d’elle que nous faisons l’amour et la conjonction de nous et de nos royaumes ; car là où nous serons ensemble d’un accord et d’une alliance, il n’est roi, chrétien ni autre, qui nous puist porter contraire. »

Ce dîner passé en la tente du roi de France qui fut bien brief, on leva les nappes. Les tables furent abaissées. On prit vin et épices. Après tout ce fait, la jeune roine d’Angleterre fut amenée en la place et dedans la tente du roi, accompagnée de grand nombre de dames et de damoiselles. Et la fut délivrée au roi d’Angleterre, et lui bailla le roi son père par la main. Sitôt que le roi d’Angleterre en fut saisi, et congé fut pris de toutes parts, on mit la jeune roine d’Angleterre en une litière moult riche qui étoit ordonnée pour elle ; et de toutes les dames de France qui là étoient n’en allèrent nulles avecques la roine, fors la dame de Coursy[1]. Là étoient les dames d’Angleterre, les duchesses de Lancastre, d’Yorch, de Glocestre, d’Irlande, la dame de Man, la dame de Poinins et grand nombre d’autres hautes dames qui recueillirent la roine Isabel d’Angleterre à grand’joie. Tout ce fait, et les dames appareillées, le roi d’Angleterre et tous les Anglois partirent et chevauchèrent le bon pas et vinrent au gîte à Calais ; et le roi de France et tous les seigneurs à Saint-Omer ; et là étoient la roine de France et la duchesse de Bourgogne ; et furent le dimanche et le lundi. Et le mardi, qui fut le jour de la Toussaints, épousa le roi d’Angleterre, en l’église Saint-Nicolas de Calais, Isabel de France qui fut sa femme et roine d’Angleterre. Et les épousa l’archevêque de Cantorbie ; et furent là les fêtes et solemnités moult grandes et hautes ; et ménestrels payés bien et largement, tant que tous s’en contentèrent. Le jeudi ensuivant, vinrent ! Calais les ducs d’Orléans et de Bourbon voir le roi d’Angleterre et la roine, et prirent congé à eux et aux seigneurs d’Angleterre, et le vendredi au matin retournèrent et vinrent dîner à Saint-Omer. Et trouvèrent le roi de France qui les attendoit, et le roi d’Angleterre et la roine. Après messe, de bon matin, et bu un petit qui boire voulut, entrèrent en leurs vaisseaux passagers qui ordonnés étoient ; et eurent vent appareillé quand ils furent désancrés, et équippèrent en mer ; et furent à Douvres en moins de trois heures ; et là vint le roi dîner au chastel et gésir le lendemain à Rochestre et puis à Dardeforde et puis à Eltem le manoir du roi. Et prirent congé les seigneurs et les dames d’Angleterre au roi et à la roine ; et s’en retournèrent chacun en leurs lieux.

Depuis, environ quinze jours, fut la roine d’Angleterre amenée en la cité de Londres, accompagnée grandement de seigneurs, de dames et de damoiselles. Et fut une nuit au chastel à Londres séant sur la rivière de la Tamise ; et le lendemain amenée tout au long de Londres à grand’solemnité jusques au palais de Wesmoustier ; et là étoit le roi qui la recueillit. Et ce jour firent les Londriens à la roine grands dons et riches présens qui tous furent reçus en grand’joie. Et le roi, la roine, les seigneurs et les dames étant à Wesmoustier, furent unes joutes ordonnées et assises à être en la cité de Londres, à la Chandeleur, de quarante chevaliers dedans et quarante écuyers ; et fut la fête baillée et délivrée aux hérauts pour noncier et signifier deçà et delà la mer jusques au royaume d’Escosse.

En ce temps le roi de France revenu à Paris, depuis le mariage de sa fille, et les seigneurs retournés en leurs lieux, étoit grand’nouvelle en France, car on proposoit que tantôt, à l’entrée de mars[2], le roi de France prendroit le chemin à puissance d’aller et entrer en Lombardie, et de détruire messire Galéas, duc de Milan. Et l’avoit pris le roi de France en telle haine que point ne vouloit ouïr parler du contraire que le voyage ne se fît. Et lui devoit le roi d’Angleterre envoyer six mille archers. Et proprement le duc de Bretagne, qui tout le temps s’étoit tenu avecques le roi, s’étoit offert à lui pour aller en ce voyage atout deux mille lances de Bretons. Et se faisoient jà les pourvéances du roi et des seigneurs sur les chemins, au dauphiné de Vienne et en la comté

  1. Salmon, dans le récit de ses ambassades, dit que quand la reine aperçut que les seigneurs et dames se départaient, et que tous ses gens la laissaient, elle requit au roi son seigneur que des gens que son père lui avait baillés pour la servir aucuns demeurassent en sa compagnie, laquelle chose le roi lui octroya ; et il ajoute : Et du nombre de ceux qui demeurèrent, moi, Salmon qui parle, fus l’un qui, par l’ordonnance du roi d’Angleterre, passai la mer en la compagnie de la roine.
  2. Cela se rapporte à l’an 1397, d’après le nouveau style.