Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1389]
25
LIVRE IV.

consaulx du roi ne véoient en Betisac nulle chose pourquoi il dût mort recevoir, voir les aucuns et non pas tous ; car moyennement il y en avoit de tels qui disoient ainsi : « Betisac a fait tant de crueuses levées, et appovri tant de peuples pour accomplir le désir à monseigneur de Berry, que le sang humain du povre peuple s’en plaint et crie hautement, et dit qu’il a desservi mort ; car il, qui étoit es parties par deçà le conseil du duc de Berry, et qui véoit la povreté du peuple, lui dût doucement avoir remontré ; et si le duc de Berry n’y voulsist avoir entendu, il fût venu devers le roi et son conseil et leur eût remontré la povreté du peuple, et comment le duc de Berry les menoit ; on y eût pourvu ; et grandement il se fût excusé des amisses dont il est maintenant adhers et encoulpé. » Adonc fut Betisac remandé en une chambre devant le conseil. De rechef il fut moult fort examiné pour savoir que toutes ses finances pouvoient être devenues, car on trouva la somme de trente cents mille francs. Il répondit à ce et dit : « Messeigneurs, je ne le puis bonnement savoir : il en a mis grand’plenté en ouvrages et réparations de châteaux et hôtels, et en achat de terres au comte de Boulogne et au comte d’Estampes, et en pierreries ; ainsi que vous savez que telles choses il a acheté légèrement. Et si en a étoffé son état très grand que il a toujours tenu ; et si en a donné à Thibault et Morinot et à ses varlets autour de lui, tant qu’ils sont tous riches, » — « Et vous, Betisac, dit le conseil du roi, en avez-vous bien eu pour vos peines et services que vous lui avez faits cent mille francs à votre singulier profit. » — « Messeigneurs, répondit Betisac, ce que j’en ai eu, monseigneur de Berry me consent bien, car il veut que ses gens deviennent riches. »

Donc répondit le conseil d’une voix : « Ha ! Betisac, Betisac, c’est follement parler. La richesse n’est pas bonne ni raisonnable qui est mal acquise. Il vous faut retourner en prison et nous aurons avis et conseil sur ce que vous nous avez ici dit et montré : il vous faut attendre la volonté du roi à qui nous montrerons toutes vos défenses. » — « Messeigneurs, répondit Betisac, Dieu y ait part ! » Il fut remis en prison et là laissé, sans être mandé devant le conseil du roi, bien quatre jours.

Quand les nouvelles furent épandues parmi le pays que Betisac étoit pris de par le roi, et tenu et mis en prison, et que on faisoit enquête sur lui de toutes parts, et étoit la renommée telle que, qui rien lui savoit à demander si se trait avant, donc vissiez gens de toutes parts venir à Beziers et demander l’hôtel du roi, et jeter en place supplications et plaintes crueuses et douloureuses sur Betisac. Les aucuns se plaignoient que Betisac les avoit déshérités sans cause et sans raison ; les autres se plaignoient de force que il leur avoit fait de leurs femmes ou de leurs filles. Vous devez savoir que quand tant de divers cas venoient sur Betisac, les consaulx du roi étoient tous lassés de l’ouïr ; car à ce que les plaintes montoient, il étoit durement haï du peuple ; et tout lui venoit, à considérer raison, pour accomplir la plaisance et volonté du duc de Berry et pour emplir sa bourse. Les consaulx du roi ne savoient que faire ; car là étoient venus deux chevaliers de par le duc de Berry, le sire de Nantouillet et messire Pierre Mespin, qui apportoient et avoient apporté lettres de créance au roi ; et avouoient ces chevaliers, de par le duc de Berry ; tout ce que Betisac avoit fait du temps passé, et requéroit le duc de Berry au roi et à son conseil à r’avoir son homme et son trésorier.

Le roi avoit Betisac accueilli en grand’haine pour l’esclandre crueux et la fame diverse et crueuse qui couroit sur lui ; et s’inclinoient le roi et son frère à ce trop grandement qu’il fût perdu. Et disoient que bien l’avoit desservi. Mais les consaulx du roi ne l’osoient juger. Trop doutoient courroucer le duc de Berry. Et fut dit ainsi au roi : « Sire, au cas que monseigneur de Berry avoue tous les faits de Betisac à bons, quels qu’ils soient, nous ne pouvons voir, par nulle voie de raison, que Betisac ait desservi mort ; car du temps que il s’est entremis ès contrées de pardeçà, des tailles, des subsides et des aides asseoir et mettre, prendre et lever, monseigneur de Berry, en quelle instance il le faisoit, avoit puissance royale, comme vous avez pour le présent. Mais on pourra bien faire une chose selon les articles de ses forfaits, saisir tous ses meubles et héritages, et le mettre au point où premièrement monseigneur de Berry le prit, et restituer et rendre aux povres gens, par les sénéchaussées lesquels il a plus foulés et appovris. » Que vous ferois-je long conte ? Betisac fut sur le point d’être délivré, voire parmi ôtant sa çhevance, quand autres nouvelles