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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/313

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LIVRE IV.

avoient les Sarrasins, qui de ce étoient informés, plusieurs merveilleuses imaginations comment ce se pouvoit faire, et les chefs des pays souffrir.

Ces paroles et autres que le comte de Nevers remontra au roi et aux hauts barons de France leur donnèrent moult à penser ; et disoient les aucuns : « Les Sarrasins ont cause et raison si ils s’en truffent et gabent, car on laissa les prélats et ceux qui se nomment pasteurs de l’église trop convenir. Qui leur battroit le ventre on les mettroit à raison, ou d’eux-mêmes s’y mettroient. » Les clercs de l’université de Paris qui là travailloient, et en apprenant les escriptures ne pouvoient venir à bénéfices pour le fait de ce schisme de l’église et pour ces papes, entendoient volontiers aux murmurations du peuple qui venoient de côté, et étoient tous rejouis de ce que le comte de Nevers en avoit rapporté, et que il disoit que les Sarrasins et les Turcs, qui sont contraires de notre loi, s’en truffoient et en faisoient leur dérision ; et disoient en bonne vérité : « Ils ont cause ; et si le roi de France et le roi d’Allemagne n’y pourvoient, les choses iront encore pis. Et tout considéré, ceux qui ont tenu l’aventure se sont bien tenus, et ainsi conviendra-t-il faire qui voudra avoir union en l’église. » Dit et remontré fut en secret au roi de France de ceux qui bien l’aimoient et qui sa santé à voir désiroient, que l’opinion commune du royaume de France étoit qu’il n’auroit jamais parfaite santé que l’église seroit en autre état. Et lui fut remontré, sur telle forme et manière que on lui donna à entendre, que le roi Charles son père, de bonne mémoire, au lit de la mort, en avoit rechargé son conseil, et faisoit doute qu’il ne se fût trop fort abusé de ces papes et de lui être sitôt déterminé ; et en tenoit sa conscience à moult chargée. Le roi de France s’excusoit en disant : « Quand notre seigneur de père trépassa de ce siècle, nous étions encore moult jeune ; si avons cru le conseil de ceux qui nous ont gouverné jusques à ores ; et si nous avons abusé ou folié, à eux en est la coulpe et non à nous ; et puisque nous en sommes informés si avant, nous y pourvoirons briévement, tellement que on s’en apercevra. »

Le roi Charles de France sentit et entendit bien ces paroles, mieux que oncques mais il n’eût fait, et dit à soi-même, et aussi â ceux de son conseil de sa chambre, qu’il y pourvoiroit. Et en parla à son frère le duc d’Orléans, comte de Blois et de Valois, lequel il eut tantôt à sa volonté ; et ils eurent aussi leur oncle de Bourgogne, car quoiqu’il eût obéi à celui qui se nomma et escripsit pape Clément, il n’y eut oncques ferme fiance ; mais les prélats du royaume de France, et par espécial Guy de Roye, archevêque de Rheims, les archevêques de Sens, de Rouen et l’évêque d’Autun l’avoient bouté et tenu en celle créance. Or fut avisé au détroit conseil du roi de France que, si ils vouloient remettre l’église à point, il convenoit avoir l’accord de toute Allemagne, Si furent envoyés suffisans hommes, chevaliers et clercs de droit, desquels maître Pierre Plaies en fut l’un, en ambaxaderie en Allemagne, devers le roi de Bohême et d’Allemagne qui s’escripsoit roi des Romains. Et fut adonc tant procuré par les dits ambaxadeurs que une journée fut assignée à être, le roi d’Allemagne et son conseil, et le roi de France et son conseil, en la cité de Rheims ; et eurent en convenant les deux rois de y être. Et afin que nuls prélats de côté, cardinaux, archevêques ni évêques ne leur pût briser leurs propos et imagination qu’ils avoient de bien faire, on fit courir une renommée que ces seigneurs et rois, et leurs consaux qui se devoient trouver à Rheims, l’assemblée se feroit pour traiter un mariage du fils le marquis de Blanquebourch, frère au roi d’Allemagne et de une fille que le duc d’Orléans avoit ; et moyennant ces besognes on parleroit d’autres matières.

En ce temps que ces traités se faisoient et approchoient, trépassa de ce siècle à son hôtel à Avesnes en Hainaut, messire Guy de Chastillon, comte de Blois, et fut porté à Valenciennes et ensepveli en une chapelle à Saint-François, église des frères mineurs ; et la chapelle où il fut premièrement mis est nommée la chapelle d’Artois. Vérité est qu’il en faisoit faire une très belle et très noble au pourpris du clos desdits frères, et assez près de là, où il cuidoit gésir. Mais ce comte de Blois mourut si endetté de toutes parts, et si petite ordonnance fut de ses biens, que le sien, rentes et revenues, ne purent fournir ses dettes ; et convint la comtesse de Blois sa femme, Marie de Namur, renoncer à tous meubles. Ni elle n’osa accepter le testament, ni