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LIVRE IV.

aussi votre tayon de Lancastre, Henry, n’y vouloit ni demandoit que tout bien. Et servit en son temps si loyaument le roi et le royaume d’Angleterre que encore il en fait à recommander et en souvient aux bons et à tous ceux qui le virent et connurent, ou qui en ont ouï parler les bons anciens leurs pères et leurs prédécesseurs. Et toutes ces choses pourront encore si grandement retourner devant les yeux du roi Richard que il s’en repentira, si faire le pouvoit, ou loisir en avoit, de ce que autrement il ne s’est gouverné. »

Ainsi et telles paroles, sur forme d’amour, remontroient les Londriens et autres nobles d’Angleterre au comte Derby, lequel les recevoit toutes en bien et leur en savoit bon gré. Et se pourvéoît et ordonnoit toujours avant de tout ce qu’il appartenoit à faire gage de bataille ; et prioit ses amis parmi le royaume d’Angleterre moult doucement, qu’ils voulsissent eux tant travailler que pour venir et être à sa journée ; lesquels s’ordonnoient et pourvoient à la prière du comte très grandement.

Vous devez savoir que le roi Richard d’Angleterre qui souffert avoit ces appeaulx et gage de bataille devant lui du comte Derby et du comte Maréchal, eut ce terme pendant que les armes se devoient faire, mainte imagination, à savoir comment il se maintiendroit, si ils les lairroit combattre ou non ; et quoiqu’il fut roi d’Angleterre, et plus douté que oncques mais il n’avoit été, de jour et de nuit il se faisoit garder de plus de deux mille archers, lesquels toutes les semaines étoient bien payés de leurs gages. Et ne se confioit point le roi en ses plus prochains de sang et de lignage, fors en son frère le comte de Hostidonne, et le comte de Salsebery. Le comte de Rostellant, son cousin germain, fils au duc d’Yorch, étoit assez en sa grâce ; mais de tout le demeurant il ne faisoit compte, fors d’aucuns chevaliers de sa chambre qui le conseilloient.

Quand la journée dubt approcher que les deux seigneurs dessus nommés devoient faire les armes en la forme et manière que convenance avoient, et de ce ils étoient tout pourvus, et n’attendoient autre chose que on les mît ensemble, il fut un jour que on demanda au roi Richard en grand secret et espécialité de conseil et dit : « Sire, quelle est votre intention de l’ahatié emprise entre ces deux seigneurs vos cousins, le comte Derby et le comte Maréchal ? Les laisserez-vous convenir ? » — « Oil, dit le roi, pourquoi non ? Je veuil voir les armes et les pièces ; espoir et de léger pourrions-nous savoir par leurs armes telles choses que pas ne savons et qui sont à nous très nécessaires à savoir, afin que nous soyons au-dessus de nos besognes ; car il n’y a si grand en Angleterre, s’il me courrouce qu’il ne me l’amende ; car si je me laissois soumettre de mes sujets ils voudroient dominer dessus moi. Et sais de vrai que ceux de mon sang ont eu jusques ci plusieurs consaux et secrets traités sur moi et mon état ; et le plus grand de tous et plus périlleux ce fut le duc de Glocestre, car de lui en toute Angleterre n’y avoit pire tête. Or en est paix d’ores en avant ; je me chevirai bien du demeurant. Mais je vous prie, dites-moi pourquoi vous mettez telles paroles avant. » — « Sire, nous le vous dirons, répondirent ceux qui parloient à lui. Nous vous avons à conseiller loyaument, et nous oyons et entendons à la fois et souvent, et avons ouï et entendu telles choses dire et parler que vous ne pouvez ouïr ni entendre ; car vous êtes en vos chambres et déduits et nous sommes sur les champs ou à Londres. Là on compte et parle plusieurs choses qui trop grandement vous pourroient toucher et à nous aussi ; et il est encore bien heure de y pourvoir ; si y pourvoyez sans nulle faute. Nous le vous disons et conseillons pour bien. » — « Et comment ? dit le roi ; parlez outre ; ne m’épargnez point, car je veuil faire et ouvrer de toutes choses de raison, et tenir justice en mon royaume que je serai conseillé. » — « Sire, dirent ceux qui parloient à lui, commune renommée court parmi Angleterre, et par espécial en la cité de Londres qui est la souveraine et chef de tout votre royaume, que vous êtes cause de ce fait et que vous avez fait traire avant le comte Maréchal pour combattre le comte Derby ; et disent les Londriens généralement, et moult de nobles et prélats de ce pays, que vous allez le droit chemin pour détruire votre lignage et le royaume d’Angleterre, lesquelles choses ne vous seront point souffertes. Et si les Londriens s’élèvent contre vous avecques les nobles, qui leur ira au devant ? Vous n’avez nulle puissance, si elle ne vient de vos hommes ; et encore de rechef, plus que oncques mais, il y a une grande suspecion et périlleuse pour cause de ce que par mariage vous êtes allié au roi de France, de laquelle chose