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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/332

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

fût par traité ou autrement, que Bénédict se soumit de la papalité et s’ordonnât de tous points par le conseil et ordonnance du roi de France, et que l’église fût neutre par toutes les mettes et limitations du royaume de France, jusques au jour que par accord l’église seroit remise et retournée en unité ; et l’union faite, par le sens et décret des prélats à ce députés, les choses retournassent à leur droit.

Ce conseil sembla bon à tous, et fut accepté du royaume de France et de tous les autres, et furent institués le maréchal de France et l’évêque de Cambray pour aller en Avignon. Si se départirent de Paris ces deux seigneurs assez tôt après ces ordonnances faites, et cheminèrent ensemble tant qu’ils vinrent à Lyon sur le Rhône, et là se partirent l’un de l’autre ; et eurent avis et ordonnance que le maréchal de France se tiendroit là tant qu’il auroit ouï nouvelles de l’évêque de Cambray, qui devant chemineroit et iroit ouïr quelle réponse cil qui se disoit pape en Avignon feroit sur les paroles et requêtes qui faites là seroient de par le roi de France. Et tant exploita le dit évêque qu’il vint en Avignon, et se logea en la grand’fusterie. Là savoient bien aucuns cardinaux quelle chose il demandoit et requéroit, puisque il venoit de par le roi de France, mais ils s’en dissimulèrent, tant qu’ils auroient ouï et vu les manières et paroles de ce Bénédict.

Quand l’évêque de Cambray fut descendu et rafreschi à son hôtel et renouvelé d’habits, il s’en partit et alla au palais, et fit tant qu’il vint en la présence de ce pape Bénédict. Si lui fit la révérence ainsi comme à lui appartenoit, et non pas si grande comme s’il le tint à pape et fût tenu par tout le monde, quoiqu’il l’eût pourvu de l’évêché de Cambray ; mais ce qui fait en étoit, tout avoit été par la promotion des seigneurs de France. L’évêque de Cambray, comme bien enlangagé en latin et en françois, commença à parler sur bonne forme, et remontra comment de par le roi de France et le roi d’Allemagne il étoit là envoyé. Quand le dit évêque vint sur les procès que on étoit en ordonnance et état, qu’il convenoit que cil se soumît de résigner la papalité, et que cil de Rome le devoit ainsi faire, si mua couleur moult grandement, et éleva sa voix et dit : « J’ai eu moult de peine et de travail pour l’église ; et par bonne élection on m’a mis pape, et on veut que je me soumette à ce que je y renonce ; ce ne sera jà tant que je vive. Et veuil bien que le roi de France sache que pour ses ordonnances je ne ferai rien, mais tiendrai mon nom et ma papalité jusques au mourir. » — « Sire, répondit l’évêque de Cambray, je vous tenois plus prudent, sauf votre révérence, que je ne vous trouve. Demandez jour de conseil et de répondre à vos frères les cardinaux, et vous l’aurez ; car vous tout seul ne pouvez pas résister contre eux s’ils s’accordent à celle opinion, ni à la puissance du roi de France et du roi d’Allemagne. »

Donc se trairent avant deux cardinaux qui là étoient, lesquels il avoit créés, qui sentirent tantôt et connurent que les choses ne pouvoient tourner à bien, et dirent ainsi : « Père saint, l’évêque de Cambray parle bien. Faites après sa parole, et nous vous en prions. » Adonc répondit-il : « Volontiers. » Si faillirent pour celle heure les parlemens, et retourna l’évêque à son hôtel, et n’alla point voir nuls des cardinaux, mais s’en souffrit et dissimula. Quand ce vint au lendemain, on sonna au matin la campane du consistoire, et fut faite convocation de tous les cardinaux qui en Avignon étoient ; et vinrent tous au palais, et se mirent tous en consistoire ; et là fut l’évêque de Cambray, maître Pierre d’Ailly, qui en latin remontra tout au long son message, et ce pourquoi il étoit là venu. Quand il eut parlé, on lui répondit et dit que on auroit conseil de répondre quand ils seroient bien conseillés, mais il convenoit qu’il se départît de là. Il le fit, et alla ailleurs ébattre : et entretant Bénédict et les cardinaux parlementoient ensemble. Et furent moult longuement sur cel état. Et sembloit à aucuns moult dur et contraire de défaire ce qui fait et créé étoit ; mais le cardinal d’Amiens proposoit et disoit : « Beaux seigneurs, veuillons ou non, il nous convient et conviendra obéir au roi de France et au roi d’Allemagne, puisque adhérens et conjoins ils sont ensemble ; car sans eux nous ne pouvons vivre. Encore nous chevirions-nous bien du roi d’Allemagne, si le roi de France vouloit demeurer de-lez nous ; mais nennil ; il nous mande que nous obéissions, ou il nous clorra les fruits de nos bénéfices sans lesquels nous ne pouvons vivre. Vérité est, Père saint, que nous vous avons pourvu et créé en la papalité par forme et condition que vous devez